L’accord-cadre reviendra – mais il devra être social
Fin mai, le Conseil fédéral a interrompu les négociations sur un accord-cadre institutionnel avec l’Union Européenne. Travail.Suisse considère cette décision comme justifiée, car les négociations étaient dans une impasse. Comme les débats l’ont montré au cours des quatre semaines dernières, la discussion sur les rapports adéquats entre la Suisse et l’UE se poursuit. Les questions institutionnelles, à savoir l’accord-cadre, sont toujours à l’ordre du jour. Les travailleurs et travailleuses en Suisse doivent eux aussi pouvoir profiter de l’intégration européenne et pas seulement les entreprises. C’était la voie couronnée de succès que la Suisse avait empruntée jusqu’à présent.
Le 26 mai 2021, Travail.Suisse n’a pas fait sauter les bouchons de Champagne. La règlementation des rapports entre la Suisse et l’Union Européenne revêtait trop d’importance pour d’innombrables emplois en Suisse. Malgré tout, la décision a été perçue comme une rédemption. Avec l’accord-cadre, M. Cassis, Conseiller fédéral libéral, avait lancé une attaque contre les mesures d’accompagnement et faisait non pas une politique extérieure, mais une politique intérieure dirigée contre les travailleurs et les syndicats. Au lieu d’agir en Conseiller fédéral et de chercher des solutions majoritaires, il continuait à jouer son ancien rôle de chef de groupe parlementaire du PLR. La remise en cause de la ligne rouge pour la protection des salaires, à l’été 2018, n’était pas un lapsus du ministre des affaires étrangères après un peu plus de six mois de mandat. Il s’agissait bien plus d’une décision consciente et tactique de ne pas chercher avec les syndicats une solution aux mesures d’accompagnement et de diviser la gauche. D’influents partisans dans les cercles du Conseil fédéral soutenaient le plan, parmi lesquels le Conseiller fédéral Schneider-Ammann, qui aujourd’hui compte d’ailleurs parmi les opposants les plus virulents à l’accord-cadre. Cette voie a finalement conduit à une impasse. Au lieu de défendre les mesures d’accompagnement à Bruxelles et de négocier des solutions viables, cette politique fissurait les digues de la négociation. Le secrétaire d’État Balzaretti est venu transmettre les informations officiellement devant la commission de politique extérieure du Parlement de l’UE et n’a même pas mentionné la protection des salaires durant ses longues explications. Nous ne saurons jamais quelles concessions il a obtenu de l’UE. Pour les syndicats, de telles négociations engageaient l’accord-cadre dans une mauvaise voie.
Améliorations de la protection salariale
Après, personne n’a voulu collaborer : Le même ministre des affaires étrangères n’a pas cessé par la suite de mentionner les différences entre l’UE et la Suisse en matière de protection salariale et de réclamer des solutions créatives, mais n’en a lui-même proposé aucune. Pourtant la Suisse pourrait, à ce sujet, introduire une partie des mesures françaises de protection salariale et imposer des exigences supplémentaires aux entreprises de l’UE qui détachent des employés en Suisse, et combattre ainsi plus facilement le dumping salarial. Cela ne serait sans doute pas allé dans le sens souhaité par la commission de l’UE, mais cela aurait peut-être eu le mérite de servir d’impulsion pour faire accepter la protection salariale suisse pragmatique et non discriminatoire. Mais personne n’a voulu débattre des améliorations sérieuses en faveur des mesures d’accompagnement, alors que les rapports annuels des organes de contrôle montrent que le dumping salarial est une réalité. En bref : Avec cet accord-cadre, le ministre des affaires étrangères et ses partenaires ont délibérément poursuivi un programme de politique intérieure qui a détruit l’axe « social-libéral » qui avait jusqu’à présent fait ses preuves en matière de politique européenne, et qui a rendu impossible une solution commune.
Des conditions concurrentielles identiques aussi dans le secteur social
Certaines réactions et exigences ont été révélatrices après l’interruption de l’exercice par le Conseil fédéral. Le PLR demande un « programme de remise en forme » pour l’économie suisse, parce que sans accord-cadre l’accès au marché intérieur de l’UE ne serait plus garanti. Cela montre que les cercles économiques ne sont reliés à l’accord-cadre que par un profit économique. Dans sa dernière mouture, l’accord-cadre aurait garanti l’accès au marché pour les entreprises mais n'avait apporté aucune amélioration pour les travailleurs. Cela n’augure rien de bon. La Suisse profite économiquement des accords bilatéraux, comme d’ailleurs des autres accords commerciaux, raison pour laquelle l’ensemble de la population doit aussi bénéficier de ces profits. Après le « Oui au Brexit », l’UE a compris que l’intégration européenne n’était réalisable que si l’UE était aussi un vecteur de progrès social pour la population. Cependant les négociations pour l’accord-cadre ont commencé avant le « Oui au Brexit ». C’est pourquoi le contenu du mandat de négociation de l’époque est le seul moyen d’expliquer que l’UE ait exigé de la Suisse le respect de ses règlements du marché intérieur, mais sans prendre en charge de dispositions dans le domaine social. Avec l’accord-cadre, l’UE aurait dans une certaine mesure permis un « dumping social » en Suisse. Juste un exemple à ce propos : Tous les États membres de l’UE doivent accorder un congé parental de huit semaines valables pour les mères et les pères, ce dont la Suisse est encore très éloignée.
Premières étapes pour le prochain accord-cadre
Voilà pourquoi, Travail.Suisse avait exigé dans son document du congrès en 2019, qu’en cas d’échec de l’accord-cadre, il faudrait aussi réexaminer une adhésion à l’EEE. Une telle condition permettrait de relier les améliorations dans le domaine de la sécurité sociale et les droits des travailleurs. Bien sûr, il faudrait aussi trouver une solution concernant la protection salariale, ce qui ne sera pas facile. Le Conseil fédéral veut maintenant (enfin) démarrer le processus de dialogue avec l’UE et il pourra en profiter pour réexpliquer les mesures d’accompagnement. Avec une volonté politique appropriée des deux côtés, il sera possible de désigner les dispositions actuelles de protection salariale comme conforme aux directives de l’UE. Le point principal de la critique de l’UE a toujours été le délai de préinscription de huit jours. A cet endroit, Travail.Suisse n’a jamais été contre des optimisations techniques dans le processus de préinscription. Le Conseil fédéral a déposé au Parlement fin avril une demande de crédit d'engagement pour le renouvellement du système d’information central sur la migration (SYMIC) et, à cet effet, les processus des mesures d’accompagnement seront aussi améliorés. Dans le même temps, le Conseil fédéral demande une modification de la loi sur les travailleurs détachés. A l'avenir, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) doit mettre à disposition une plateforme pour la communication électronique par laquelle les organes de contrôle pourront se transmettre des renseignements et des documents. Une fois que cette plateforme fonctionnera, il sera possible d’adapter la règle des huit jours, sans que la protection du salaire n’ait à en souffrir. Ces projets peuvent être considérés comme une préparation pour le prochain accord-cadre.
L’intégration de la politique européenne doit apporter des améliorations aux travailleurs
Il est juste que toutes les options pour l’organisation des rapports entre la Suisse et l’UE soient discutées maintenant. Mais pour Travail.Suisse, chaque solution doit obligatoirement conduire à des améliorations pour les travailleurs. C’est ce que fait l’UE avec l’organisation de son pilier des droits sociaux. L’Europe doit en premier lieu s’occuper de l’amélioration des conditions de vie réelles de ses habitants. Si au final, nous revenons à des accords bilatéraux et un accord-cadre, il devra obligatoirement s’agir d’un accord-cadre social. Pour cela, il faut réactiver la coalition pour une politique européenne en Suisse. C’est par cette voie que les votations populaires pour la libre circulation des personnes ont toutes été remportées jusque-là. Les discussions ne doivent cependant pas empêcher le Conseil général de proposer enfin au Parlement d’adhérer à l’Autorité européenne du travail (ELA) et de soutenir ainsi la lutte transnationale contre le dumping salarial en Europe.
Vous trouverez de plus amples réflexions sur la politique européenne d’un point de vue syndicaliste dans le manifeste suivant : « Position syndicale après accord-cadre institutionnel: coopération et convergence sociale vers le haut au lieu de la concurrence de tout-e-s contre tout-e-s »