Grossesse, pressions, licenciements et départs : il faut en savoir plus
La maternité ne rime pas bien avec le maintien de l’emploi. Dès la première grossesse, des milliers de femmes bien insérées sur le marché du travail subissent une discrimination qui ne veut pas dire son nom. Trop souvent, elles perdent leur emploi, par licenciement ou suite à des pressions. Trop rarement, elles déposent plainte pour licenciement abusif et discriminatoire. Un jugement récent éclaire sur la réalité vécue par une vendeuse à Genève. Au Parlement, la nouvelle conseillère nationale vaudoise Léonore Porchet demande au Conseil fédéral d’en savoir plus.
Dans le canton de Genève, 60 % des causes traitées par le Tribunal des Prud’hommes en rapport avec la Loi sur l’égalité étaient liées à une grossesse ou une maternité en 2018. C’est ce qu’indique la dernière Newsletter de leg.ch , le site de la Conférence romande de l’égalité. On peut y lire un cas de jurisprudence récent qui mérite qu’on s’y attarde.
En avril 2018, Travail.Suisse dénonçait qu’une femme sur dix en Suisse souffre de discrimination en raison d’une maternité . A la base de cette affirmation, l’étude du Bureau BASS portant sur le congé prénatal qui livre des informations pertinentes sur les raisons du non-retour des femmes après un congé maternité. L’étude, à l’origine mandatée par le Conseil fédéral pour étudier la nécessité d’introduire un congé prénatal, est représentative : elle est menée auprès de plus de 3500 entreprises et de 2800 femmes devenues mères et révèle des faits préoccupants.
Pour près d’une femme sur cinq, l’annonce de la grossesse signifie, pour l’employeur, qu’il envisage de se séparer de son employée. En effet, à l’annonce de leur grossesse, 11% des réponses (cumulatives) données par les femmes indiquent que l’employeur a proposé de mettre fin aux rapports de travail « d’un commun accord ». Pour 7% des cas, l’employeur a annoncé vouloir mettre fin au contrat de travail après le congé maternité. Mentionnons encore les réactions d’irritation et de colère (11% des réponses) ou du conseil reçu de l’employeur de changer d’emploi (6% des réponses). Voilà de quoi empoisonner sûrement une ambiance de travail.
Un postulat pour en savoir plus
Après le congé maternité, 11% des femmes qui n’ont pas repris leur emploi disent avoir effectivement reçu un congé de leur employeur. Interrogés eux aussi, les employeurs sont 9% à indiquer avoir congédié leurs employées. Les autres raisons d’une non-reprise du travail par une femme après une maternité sont les suivantes : ne plus vouloir travailler, le refus par l’employeur d’accorder un travail à temps partiel ou avoir donné soi-même son congé. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Car compter le nombre de licenciements ne suffit pas. Dans quelle mesure ces femmes ont été contraintes de ne pas reprendre leur travail ? Combien sont-elles à avoir choisi librement de ne plus travailler ? Que cache le très répandu « départ d’un commun accord » ? C’est à ces questions que la nouvelle conseillère nationale vaudoise Léonore Porchet souhaite obtenir des réponses. Sa toute première intervention sous la coupole fédérale a été signée par des élues et des élus de tous les partis gouvernementaux. Il demande au Conseil fédéral d’approfondir les résultats de l’étude du Bureau BASS sous l’angle qualitatif. Il est nécessaire de savoir si les femmes ont subi des pressions directes ou indirectes qui pourraient expliquer la non-reprise de leur emploi après le congé maternité. Alors que notre pays connaît une pénurie de main d’œuvre qualifiée.
Des rapports de travail désastreux dès l’annonce de la grossesse
Le 14 mai 2018, une travailleuse a gagné au Tribunal des Prud’hommes de Genève contre son employeur, qui a été reconnu de licenciement abusif et discriminatoire . La travailleuse obtient deux mois de salaire d’indemnités, ce qui est bien peu au regard des dégâts engendrés suite au licenciement : la travailleuse a subi une période dépressive qui l’a conduite à une incapacité de travail. Pourtant, les indemnités doivent être de nature punitive et réparatrice, précise le Tribunal. On a peine à comprendre cette décision.
Car le licenciement n’est pas le tout, en l’occurrence il est le point d'orgue d'une grossesse mouvementée entre la travailleuse et son employeur. La vendeuse se voit accusée par son employeur de prendre tout l’équipe « en otage » quand elle s’absente parce qu’elle ne se sent pas bien, comme la loi sur le travail l’y autorise . Il est en effet difficile d’aller travailler quand on souffre de nausées et de vomissements, ce qui arrive parfois en début de grossesse. A la suite d’une absence suite à une incapacité de travail attestée médicalement, l’employeur signifie un avertissement à son employée pour négligences dans l’exécution de son travail : un prétexte selon le Tribunal. Aucun aménagement de l’horaire de travail n’a été accordé durant la grossesse. Le congé a été notifié deux jours après la fin du congé maternité, durant une séance qui a été annoncée comme une séance de travail pour régler la nouvelle affectation de l’employée. C’est un fait : l’employeur a fait pression sur son employée, n’a pas pris soin de sa santé, s’est montré déloyal et a invoqué des prétextes fallacieux après-coup pour justifier le licenciement.
Entre 3'300 et 6’600 femmes actives sont discriminées chaque année pour cause de maternité
Combien de femmes ont reçu un licenciement après leur congé maternité ? Le Bureau BASS, très pessimiste, estime que seulement 3,2% des femmes seraient concernées par un licenciement après une grossesse au niveau suisse. Et il articule le chiffre de 2500 femmes à être licenciées chaque année après une grossesse. C’est déjà beaucoup trop.
A la lecture de ce résumé de jugement, on constate aisément que le comportement de l’employeur a été désastreux et a eu des effets négatifs sur la santé de l’employée. Comment s’étonner alors que dans pareilles circonstances, même sans recevoir de licenciement, toute autre femme n’aurait tout simplement pas la force de poursuivre son travail dans une telle ambiance ?
Car une autre question se pose. Combien de femmes ont effectivement enduré des pressions pour qu’elles s’en aillent parce qu’elles allaient devenir mères ou sont devenues mères ? En se basant sur la même étude, Travail.Suisse estime qu’au mieux 5%, au pire 10% de femmes actives concernées par une maternité subissent une discrimination pour cette raison. Si on applique cette proportion sur le nombre de femmes devenues mères (87'800 naissances en 2016), et sachant que les mères de jeunes enfants (0 à 3 ans) sont 76% à travailler (ESPA 2018), alors on obtient un chiffre plus que doublé : entre 3'300 et 6'600 femmes sont concernées par une discrimination en raison de leur maternité, une discrimination qui peut aller jusqu’au licenciement.
Enfin, combien sont-elles ces femmes à ne pas obtenir un emploi parce que l’employeur « anticipe » une future maternité ? Combien sont-elles à être mises de côté en matière de carrière car, à l’instar de ce qu’a prétendu l’employeur à son employée licenciée dans le cas genevois jugé aux Prud’hommes, « le fait d’avoir deux enfants représentait un empêchement pour l’exécution du travail à accomplir » ?
A ces questions, aucune étude ne peut répondre pour l’instant. Toutefois il faut garder à l’esprit que plus d’1,4 million de femmes en âge d’avoir des enfants travaillent. Le potentiel discriminatoire est grand. Il est urgent de mettre un terme à ce gâchis, tant au niveau humain qu’au niveau des compétences perdues. Il est à espérer que le postulat de Léonore Porchet soit accepté.
L’agenda numérique www.mamagenda.ch accompagne la grossesse au travail
En attendant, Travail.Suisse encourage chaque femmes active et chaque entreprise employant des femmes d’utiliser ensemble (ou séparément) le site www.mamagenda.ch. Développée avec des professionnelles de divers horizons, cet agenda numérique trilingue et gratuit permet de s’informer et de planifier les discussions indispensables à avoir au bon moment durant la grossesse sur tous les sujets qui doivent être réglés avant le départ en congé maternité. mamagenda.ch permet d’organiser un retour au travail harmonieux, dans la sérénité, tant pour la travailleuse que pour l’employeur. mamagenda.ch conduit une situation apaisée et « gagnant-gagnant », dont doit bénéficier toute travailleuse qui devient mère et tout employeur responsable.
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www.mamagenda.ch