Après le succès du congé paternité – les perspectives
Travail.Suisse a fêté dignement le beau succès de la votation du 27 septembre sur le congé paternité. Grâce à l’organisation faîtière indépendante des travailleuses et des travailleurs et grâce aux dizaines d’organisations et d’associations de la société civile mobilisés autour du même objectif, la Suisse se dote enfin d’un congé paternité de dix jours. Il reste pourtant encore beaucoup à faire si on considère l’objectif final d’une véritable politique familiale qui prévoit un congé parental. Surtout si ce dernier a comme objectif de gommer la discrimination dont sont actuellement victimes seulement les nouvelles mères.
Nous le disions en début d’année (1) , la maternité ne rime pas bien avec le maintien de l’emploi. Dès la première grossesse, des milliers de femmes bien insérées sur le marché du travail subissent une discrimination qui ne veut pas dire son nom. En se basant sur l’étude de 2018 du Bureau BASS mandatée par l’Office des assurances sociales (2), Travail.Suisse estime qu’au mieux 5%, au pire 10% de femmes actives concernées par une maternité subissent une discrimination pour cette raison. Rapporté au nombre de femmes qui deviennent mères et au taux d’insertion sur le marché du travail des mères d’enfants âgés de 0 à 3 ans, il y a chaque année entre 3'300 et 6'600 femmes concernées par une discrimination en raison de leur maternité, une discrimination qui peut aller jusqu’au licenciement.
Le risque entrepreneurial de l’absence : une réalité et un tabou
A l’origine de cette situation discriminatoire inacceptable, il y a le risque entrepreneurial que de trop nombreux employeurs ne veulent plus assumer : celui d’engager une femme qui risque, un jour ou l’autre, de (re)devenir mère et de devoir s’absenter de son emploi durant plusieurs mois. Non seulement les jeunes femmes sont discriminées à l’engagement, mais elles sont aussi victimes de discrimination en perdant leur emploi après le congé maternité. Cette réalité relève de l’ordre du tabou car un employeur n’a en principe pas le droit de poser des questions à une demandeuse d’emploi sur son souhait de devenir mère. Cela relève de la sphère privée. Pourtant, de nombreuses candidates qualifiées sont écartées en raison de cette crainte, ou bien des professionnelles aguerries perdent leur emploi au terme de la période de protection contre le licenciement liée à la maternité (3). Avec plusieurs exemples concrets, l’émission « Temps Présent » de la RTS s’est fait l’écho de cette dure réalité il y a peu (4).
L’argument du « risque de l’absence » a marqué les esprits durant la campagne de votation sur le congé paternité. Travail.Suisse a souvent répété qu’un congé paternité était à même de rétablir un début d’équilibre sur cette question du risque de l’absence entre femmes et hommes sur le marché du travail. Le 27 septembre dernier, avec 61% de oui, la population a plébiscité le tout premier congé réservé aux pères. Deux semaines contre quatorze, l’équilibre n’est certes pas encore atteint. Toutefois, le futur congé paternité aura le mérite de participer au lent changement des mentalités. Désormais, lorsqu’un enfant naît, les deux parents sont susceptibles de s’absenter. Travail.Suisse estime qu’à terme, il en ira de même de l’absence de son père comme de sa mère en cas de maladie bénigne de l’enfant. C’est certain, les mentalités évoluent, comme le montre la loi améliorant la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches adoptée par le Parlement en décembre 2019 : le texte introduit un nouveau congé jusqu’à 14 semaines en cas de maladie ou d’accident grave d’un enfant. Si les deux parents travaillent, le congé sera accordé au père comme à la mère, mais chaque parent ne pourra prendre que 7 semaines chacun au maximum. Il entrera en vigueur le 1er juillet 2021.
Une différence de taille entre les congés de naissance
Reste une différence fondamentale qui distingue le congé maternité du congé paternité : l’obligation de le prendre. Si les mères ont l’obligation d’arrêter de travailler durant les 8 premières semaines suivant l’accouchement, les pères n’ont aucune obligation de prendre leur congé paternité. Dans la pratique, il sera indispensable de surveiller la façon dont ce congé sera pris. Et surtout, il sera primordial de savoir si la demande légitime des pères de pouvoir bénéficier de ce nouveau droit sera satisfaite par les employeurs. Dès le 1er janvier, les syndicats seront à l’écoute particulière de leurs membres pour savoir si une pression s’exerce pour que les nouveaux pères ne prennent pas leurs dix jours de congé. Il s’agira d’être vigilant.
Le congé d’adoption : bientôt un second succès pour Travail.Suisse
Sur le radar de la politique familiale, un autre congé est en passe d’être adopté par le Parlement : celui du congé d’adoption. La proposition a été faite en 2013 déjà sous la forme d’une initiative parlementaire par le démocrate-chrétien tessinois Marco Romano, en collaboration avec Travail.Suisse. Le texte, revu à la baisse puisqu’il a été ramené de 12 à 2 semaines par la commission compétente, a passé la rampe des deux commissions et du Conseil national le 23 septembre dernier. Il devrait être adopté par la Chambre haute à la session d’hiver.
A terme, un congé parental doit s’ajouter aux congés de naissance
Les bulletins de vote du 27 septembre à peine classés, de nombreuses organisations ont fait savoir qu’elles discutaient déjà de la suite, à savoir du congé parental (5) . La position de Travail.Suisse sur le sujet est connue : le congé parental, qui s’ajoute aux congés de naissance, doit aussi voir le jour en Suisse. Telle a été la décision de ses délégué.e.s réuni.e.s en Congrès en 2019 (6).
Forte de l’expérience acquise lors du lancement de son initiative populaire pour le congé paternité, puis de la campagne qui a mené au succès de la votation du 27 septembre dernier, Travail.Suisse est et reste un acteur incontournable des discussions favorisant la conciliation de la vie professionnelle et de tous les autres facettes de la vie personnelle et parentale. Travail.Suisse apporte évidemment son soutien et son expertise au sein de la faîtière Pro Familia Suisse, ainsi qu’au sein de la Commission fédérale pour les questions familiales COFF, auteure d’un modèle de congé parental de 22 semaines (si on ne compte que la période qui vient s’ajouter aux 14 semaines de congé maternité et aux 2 semaines du nouveau congé paternité).
Les discussions ne font que commencer. Les parts réservées au père et à la mère, la possibilité d’une libre répartition entre les parents, les modalités de financement, la visée égalitaire du dispositif, le délai de retrait ou le niveau du salaire de remplacement doivent faire l’objet d’un consensus aussi large que possible. En la matière, on peut assurément reprendre les mots devenus célèbres du Conseiller fédéral Alain Berset : « il s’agit d’aller aussi vite que possible mais aussi lentement que nécessaire ». Car en matière de stratégie politique, la précipitation est souvent mauvaise conseillère.