Stress et problèmes de conciliation : De nouveaux modèles de temps de travail sont-ils nécessaires ?
Presque nulle part en Europe, les personnes occupées à plein à temps travaillent plus longtemps qu'en Suisse. En outre, différentes études montrent une augmentation constante du stress lié au travail et des difficultés à concilier vie familiale et professionnelle. Le débat sur une réduction du temps de travail hebdomadaire ou sur l'introduction d'une semaine de quatre jours arrive donc à point nommé. Mais ces approches passent parfois à côté des besoins des travailleurs et travailleuses.
Les syndicats et les associations professionnelles mènent traditionnellement deux débats centraux, celui sur la valeur du travail et celui sur le temps de travail. La première se reflète surtout dans la question des salaires et de la répartition, le second dans la durée et la flexibilité du travail. Alors que l’on a réalisé des progrès sur la question des salaires au cours des dernières décennies, la durée légale du travail reste au niveau des années 70, avec 45 ou 50 heures. Les progrès en matière de réduction du temps de travail hebdomadaire à 42, voire 40 heures, ont uniquement été réalisés au niveau du partenariat social ou de l'entreprise. Actuellement, la durée hebdomadaire habituelle de travail pour les personnes occupées à plein temps en Suisse est de 42,7 heures par semaine - un record européen.
Évolution historique de la durée légale du travail
Cf. Dictionnaire historique de la Suisse
On observe une évolution similaire en ce qui concerne le droit aux vacances payées. Après la Seconde Guerre mondiale, un droit aux vacances de deux semaines a été progressivement ancré dans la loi. Depuis 1983, la loi impose un minimum de quatre semaines. Au cours des quarante dernières années, il n'y a donc eu aucun progrès légal en matière de droit aux vacances payées. Sur ce point également, la Suisse se situe à la dernière place du classement européen. Alors que le droit minimal aux vacances est de six semaines en Allemagne ou au Danemark, il est tout de même de cinq semaines en Autriche, en Italie ou en France.(1) Seule la Grande-Bretagne partage la dernière place avec la Suisse, avec un minimum légal de quatre semaines. En réalité, le droit effectif aux vacances, tel qu'il est fixé dans les conventions collectives et les contrats de travail individuels, est un peu plus élevé en Suisse, à savoir environ cinq semaines. La loi ne fixe qu'un minimum de congés payés qui doit être obligatoirement accordé. Il en va de même chez nos voisins européens.
La Suisse en queue de peloton en Europe
Aucun pays de l'UE n'emploie autant de travailleurs avec un nombre d'heures hebdomadaires aussi élevé que la Suisse. Dans notre pays, la moitié des salariés travaillent plus de 40 heures par semaine. En Europe, seuls le Monténégro (52%), l'Albanie (48%) et la Turquie (68%) affichent des valeurs comparables. En Allemagne, seuls 15% des salariés travaillent plus de 40 heures par semaine, en Autriche 17%, en Italie et en France 22% (2). Les Suisses travaillent donc nettement plus longtemps que leurs voisins européens.
Mais ce n'est en même temps que la moitié de la vérité. La Suisse est en outre une nation de personnes travaillant à temps partiel. En Suisse, 2,2 millions de salariés travaillent à moins de 90%, dont une grande partie de femmes. En conséquence, la Suisse présente une proportion relativement élevée de travailleurs et travailleuses qui travaillent moins de 35 heures par semaine (30%). Cette proportion est certes comparable à celle de l'Allemagne (33%) et de l'Italie (34%), mais elle est nettement plus élevée qu'en France (22%), en Suède (22%) ou en Pologne (23%). Par rapport aux autres pays européens, la Suisse semble donc manquer d'équilibre entre le travail à temps partiel et le travail à plein temps.
Stress et conciliation : les plus grands défis
Les durées maximales de travail élevées, supérieures à 40 heures par semaine, posent des problèmes en raison notamment de deux grands changements dans le monde du travail :
1. Productivité élevée et décloisonnement : la hausse constante de la productivité a considérablement augmenté le rythme de travail. Parallèlement, l'individualisation et la numérisation entraînent un décloisonnement croissant du travail. De ce fait, la journée de travail ne se termine que rarement à 17 heures, ni pour la vendeuse, ni pour le logisticien, ni pour le programmeur. Et même lorsqu'elle se termine à 17 heures, le rythme de travail élevé conduit de plus en plus à l'épuisement. (3)
Évolution de la productivité 1998-2020
Office fédéral de la statistique, indice 1997=100, aux prix de l'année précédente
2. Taux d'activité élevé chez les parents : l'activité professionnelle des mères a fortement augmenté au cours des 30 dernières années. Alors qu'en 1991, seule la moitié des mères d'enfants de moins de 7 ans travaillaient, en 2021, quatre mères d'enfants en bas âge sur cinq exerçaient une activité rémunérée. Le fait qu'elles travaillent principalement à temps très partiel est la conséquence logique des longues durées maximales de travail en Suisse. Dans la plupart des familles, l'un des parents - le plus souvent le père - a de longues heures de travail hebdomadaires, de sorte que l'autre parent - le plus souvent la mère - peut tout au plus travailler à un petit temps partiel pour pouvoir assumer en même temps les tâches de garde et les tâches ménagères. Le 'modèle suisse' est donc extrêmement préjudiciable à l'égalité entre les mères et les pères qui travaillent. Les parents ont ainsi souvent tendance à choisir un modèle familial traditionnel, alors qu'ils ne le souhaitent souvent pas.[1] Or, cela a des conséquences importantes, surtout pour les femmes, sur l'évolution des salaires et des retraites ainsi que sur les perspectives professionnelles.
Taux d'activité des femmes avec et sans enfants en 1991 et 2021
Enquête suisse sur la population active (ESPA), en %.
Une réduction du temps de travail est donc urgente, tant pour des raisons de santé que pour des raisons de conciliation. Mais une réduction seule ne suffit pas pour relever ces deux défis.
Flexibilité et journées de travail excessives
La durée du temps de travail hebdomadaire n'est pas le seul défi, loin de là. D'autres facteurs sont décisifs, tant pour le stress que pour la conciliation, comme la possibilité de planifier le travail ou d'éviter des horaires trop longs, pour n'en citer que deux :
- Planification : la possibilité de planifier le travail, c'est-à-dire de connaître à temps les plans de travail, est absolument décisive pour la conciliation et la charge de stress. L'ordonnance 1 de la loi sur le travail stipule que les plans d'affectation doivent être communiqués "en règle générale deux semaines avant une affectation prévue avec de nouveaux horaires de travail" (art. 69, al. 1). Cette réglementation ne correspond donc plus depuis longtemps aux exigences de la société. Les parents qui travaillent doivent savoir à l'avance quand ils devront travailler. La brièveté des plannings n'est pas seulement pertinente pour la garde des enfants. D'autres obligations sociales dans le cadre de mandats politiques, d'une activité associative ou pour suivre une formation continue supposent également une possibilité de planification du travail. Aujourd'hui, la loi et l'ordonnance n'offrent pas cette possibilité.
- Des horaires de travail excessifs : la loi suisse sur le travail prévoit une énorme flexibilité en matière d'horaires de travail. Il est possible de travailler sans autorisation entre 6 et 23 heures les jours de semaine. En règle générale, le temps de travail doit être compris dans un intervalle de 14 heures. Deux heures supplémentaires sont possibles par jour. Pour certaines branches, l'ordonnance 2 relative à la loi sur le travail prévoit en outre des dispositions dérogatoires plus étendues. La durée élevée du travail hebdomadaire n'est donc pas le seul problème, ni même souvent le plus important. Pour de nombreux travailleurs et travailleuses, c'est plutôt cette grande flexibilité des horaires de travail, rendue possible par la loi sur le travail, qui pose problème. Des horaires de travail excessifs et variables selon les besoins de l'employeur, associés à un volume de travail élevé, sont source de stress et posent de gros problèmes de conciliation.
Ainsi, les questions relatives au temps de travail ne se limitent pas à la durée de la semaine de travail, mais portent également sur la durée de la journée de travail et sur la souveraineté en matière de temps de travail, c'est-à-dire sur la question de savoir qui peut déterminer quand il faut travailler.
Semaine de quatre jours, semaine de 35 heures, droit au temps partiel
Les propositions existantes d'adaptation du temps de travail comprennent essentiellement l'introduction d'une semaine de quatre jours pour un même temps de travail, une semaine de 35 heures ou un droit au travail à temps partiel. Aucune de ces propositions ne répond toutefois aux besoins de tous les salarié-e-s, car ceux-ci varient fortement en fonction de la branche et du revenu. Une réduction du temps de travail hebdomadaire à 35 heures (5), par exemple, ne répondrait guère aux défis croissants liés au stress lié au travail et à la conciliation dans de nombreux cas. Pour les plus de 40% des personnes travaillant à temps partiel - dont une grande partie de femmes - la situation ne s'améliorerait par exemple pas de manière significative, ni en ce qui concerne le stress lié au travail, ni en ce qui concerne la conciliation, s'ils ne peuvent pas planifier les horaires de travail suffisamment tôt et doivent travailler jusqu'au soir. Le besoin d'une réduction du temps de travail est donc tout au plus secondaire pour eux. Il en va de même pour l'introduction d'une semaine de quatre jours pour un temps de travail identique. Pour les parents qui travaillent, les problèmes de conciliation devraient plutôt s'aggraver avec des journées de 10,5 heures. Pour ce qui est de la charge pour la santé, une concentration de la même quantité de travail sur quatre jours est pour le moins discutable et n'est réaliste que pour certains groupes de salarié-e-s. Le droit au travail à temps partiel n'est quant à lui une option que pour les salarié-e-s dont le salaire permet une réduction du temps de travail et donc du revenu. Pour de nombreux travailleurs et travailleuses, surtout ceux et celles qui ont des salaires bas ou moyens, le travail à temps partiel n'est donc qu'une option partielle. Ils auraient plutôt besoin de meilleurs salaires et d'horaires de travail planifiables.
Conclusion : le partenariat social permet une prise en compte différenciée des besoins
En comparaison européenne, la Suisse présente une durée maximale du travail trop élevée. Dans l'optique de la santé des travailleurs et travailleuses, de la conciliation et de l'égalité, il faut donc progresser dans la réduction du temps de travail et s'aligner sur le reste de l'Europe. On peut partir du principe que si le temps de travail est adapté en conséquence, le volume de travail de l'ensemble de l'économie ne sera pas réduit, mais surtout mieux réparti. Les améliorations du temps de travail ne doivent toutefois pas se concentrer uniquement sur les durées maximales de travail hebdomadaires. Il faut plutôt des mesures qui correspondent aux besoins effectifs des salarié-e-s dans les différentes branches. Selon les cas, les questions de planification, d'accessibilité, de flexibilité, de durée des vacances, de prise de vacances et de durée maximale du travail quotidien sont plus importantes que la réduction du temps de travail hebdomadaire ou des jours de travail. C'est pourquoi les approches de partenariat social en matière d'aménagement du temps de travail offrent des possibilités plus différenciées pour la prise en compte des besoins des salarié-e-s que les réglementations légales supérieures. Néanmoins, dans certains domaines, la loi sur le travail et le code des obligations (p. ex. le nombre de semaines de vacances) ont besoin de dispositions légales qui permettent des progrès pour tous les travailleurs et travailleuses.
Références :
- Eurofound (2021) : "Relations industrielles et dialogue social - Période de travail en 2019-2020", Office des publications de l'Union européenne, Luxembourg.
- Combien d'heures travaillez-vous habituellement par semaine dans votre emploi principal rémunéré ? (Working time) visualisation : European map by : Age, All, answer : 35 to 40 - European Working Conditions Survey - Data visualisation EWCS2016 (europa.eu)
- Cf. Promotion Santé Suisse (2022) : "Job-Stress-Index 2022 - Monitoring des chiffres clés sur le stress chez les personnes actives en Suisse", Berne. URL : fiche d'information_072_GFCH_2022-08_-_Job-Stress-Index_2022.pdf (gesundheitsfoerderung.ch)
- Lévy, René (2015) : "Comment les couples se retraditionalisent en devenant parents, et ce contre leurs propres idéaux", Académie suisse des sciences humaines et sociales
- La motion Funiciello : Réduire le temps de travail ! (21.4642) demande une réduction du temps de travail hebdomadaire à 35 heures dans un délai de 10 ans.