Les assurances sociales ne doivent pas devenir le jouet de la politique budgétaire
La semaine dernière, il est apparu que la ministre des finances Karin Keller-Sutter souhaitait proposer au Conseil fédéral de réduire pendant cinq ans la contribution de la Confédération à l’AVS, afin de rééquilibrer les finances fédérales. Une telle proposition a soulevé l’indignation. D’abord, l’actualité politique liée à Credit Suisse a amené la Confédération à octroyer des crédits de 109 milliards de francs pour sauver la grande banque dont les managers grassement payés s’étaient livrés à des spéculations hasardeuses. Après une telle opération de sauvetage bancaire, il est donc difficilement compréhensible que l’État veuille raboter de 190 millions de francs par an sa contribution à l’AVS, dont tout le monde profite en Suisse.
Ensuite, la réduction de la contribution fédérale ne respectait pas un compromis politique adopté par une majorité des citoyen∙ne∙s, lors du scrutin sur le projet de réforme fiscale et de financement de l’AVS (RFFA). Il avait été convenu à l’époque que le financement de l’AVS ne reposait pas seulement sur les déductions salariales, mais que la contribution de la Confédération serait elle aussi revue à la hausse afin que les allégements fiscaux consentis en contrepartie aux entreprises obtiennent une majorité aux urnes.
Premier test avec la compensation du renchérissement dans l’AVS
La proposition de réduire temporairement la contribution fédérale à l’AVS a un antécédent. Elle avait en effet été récemment lancée dans le débat politique, dans un cadre plus limité, mais sans être approfondie à cause du refus net du projet de pleine compensation du renchérissement des rentes AVS.
À sa session d’hiver, le Parlement avait demandé la pleine compensation du renchérissement dans l’AVS. En faisant valoir que le renchérissement était plus élevé que l’évolution des salaires, et donc qu’il n’était pas suffisamment pris en compte dans l’indice mixte servant à calculer l’adaptation des rentes AVS. Le Conseil fédéral avait alors présenté au Parlement, à sa session de printemps, un projet de loi visant à adapter intégralement les rentes AVS au renchérissement. Le projet prévoyait que la Confédération ne participerait pas à cette « adaptation extraordinaire des rentes ». Autrement dit, que l’adaptation supplémentaire des rentes AVS ne serait pas financée avec la part de la contribution de la Confédération prescrite par la loi, mais que l’AVS en assurerait seule le financement. La Confédération n’aurait donc pas payé les 84 millions de francs de contribution résultant pour elle de cette adaptation au renchérissement, laissant l’AVS en couvrir la totalité. Une telle décision était justifiée par le souci d’éviter toute éviction supplémentaire des dépenses plus faiblement liées. Le Conseil fédéral faisait valoir dans ce contexte qu’une telle réglementation est compatible avec la Constitution fédérale, étant donné que « la Confédération ne renonce pas à toute participation financière en 2023 et 2024, mais qu’elle la limite au financement des rentes sans augmentation extraordinaire ». Travail.Suisse avait aussitôt émis des doutes sur la légalité d’une telle attitude du Conseil fédéral - «cliquez ici».
Ce projet faisait donc valoir pour la première fois que la contribution fédérale à l’AVS ne doit pas être versée pour une partie des prestations, ou du moins ne pas être pleinement versée temporairement – et cela pour des raisons financières. Alors que jusque-là la contribution fédérale à l’AVS était considérée comme une dépense liée et donc échappant aux mesures d’économies temporaires, le Conseil fédéral n’est manifestement plus de cet avis.
Coupes dans l’assurance-chômage
Entre-temps, le Conseil fédéral a refusé de réduire la contribution de la Confédération à l’AVS et le projet n’est plus à l’ordre du jour. La coupe dans l’assurance-chômage (AC) a toutefois passé le cap du Conseil fédéral. Par analogie à la proposition de coupe dans l’AVS, il est proposé de réduire pendant cinq ans la contribution versée par la Confédération. L’argument politique avancé est que la Confédération a injecté près de 16 milliards de francs dans l’AC pendant la pandémie de COVID-19. Or la contribution de la Confédération à l’AC est elle aussi fixée dans la loi (art. 90a, al. 1, LACI). Il y est expressément question d’une participation de la Confédération aux coûts du service de l’emploi et des mesures relatives au marché du travail (art. 90 LACI). L’explication officielle des paiements élevés effectués au titre du chômage partiel durant la pandémie de COVID-19 ne peut donc servir ici d’argument. Si une telle justification était admise, cela pourrait en outre avoir de lourdes conséquences à moyen et long terme pour l’AC. Car pendant la pandémie, la contribution fédérale à l’AC a représenté plus du double des recettes annuelles de l’AC durant les années 2017 à 2019. Une réduction de la contribution fédérale sans modification légale constituerait donc non seulement un abus de droit, mais mettrait gravement en péril les finances de l’AC actuellement saine. Cette bonne situation financière ayant déjà conduit à supprimer la contribution de solidarité prélevée sur les hauts revenus en faveur de l’AC.
De telles réductions limitées dans le temps sont problématiques non seulement à court terme, mais surtout à plus long terme. Elles permettent à la Confédération de créer un précédent avec des réductions d’abord temporaires – qui au besoin seront prolongées avec des justifications financières – et de se soustraire à une tâche prévue par la loi sans qu’une discussion politique soit menée à ce sujet. Cette façon d’agir remet directement en question des tâches fédérales ancrées dans la loi et soumet des tâches permanentes de la Confédération aux partis pris financiers de la majorité politique du Conseil fédéral et du Parlement, sans que les citoyen∙ne∙s puissent se prononcer sur les mesures d’économies lors d’un scrutin populaire.
Globalement, tant les propositions d’économies du Conseil fédéral que le projet d’adaptation des rentes AVS au renchérissement témoignent d’une volonté politique de s’attaquer aux assurances sociales et d’y réaliser des coupes pour des raisons financières. Cela aboutirait à un déplacement des flux financiers des assurances sociales vers le budget ordinaire, et donc à une amélioration des finances fédérales aux dépens de la stabilité financière des assurances sociales. Les assurances deviendraient ainsi le jouet de la politique budgétaire, ce qu’il faut à tout prix éviter.