Coûts de la crèche pour les parents – une nouvelle allocation familiale est-elle la solution ?
Au lieu de travailler sur le projet de sa commission sœur du Conseil national, la CSEC du Conseil des Etats propose une autre voie pour financer les coûts de l’accueil extrafamilial institutionnel : par l’octroi d’une nouvelle allocation familiale de garde. La proposition, si elle présente le mérite de simplifier la mise en œuvre dans un cadre connu et éprouvé, interroge sur la réelle volonté de la commission de répondre aux objectifs de l’initiative parlementaire initiale. Travail.Suisse prendra position sur la proposition de la CSEC-E dans le cadre de la consultation en cours.
Devant le constat que les places d’accueil extrafamilial institutionnel sont toujours insuffisantes, que placer son ou ses enfants à la crèche pour pouvoir aller travailler est toujours hors de prix et empêche de nombreux parents de travailler ou de travailler plus, la commission de la science, de l’éducation et de la culture CSEC-N a déposé une initiative parlementaire 21.403 adoptée par les deux commissions. Pour elle, il est nécessaire de remplacer le programme d’impulsion en matière de soutien à la création de places d’accueil extrafamilial par un soutien durable de la part de la Confédération, un programme limité dans le temps et régulièrement reconduit depuis 2003. Une sous-commission a donc élaboré un premier projet entre mai 2021 et avril 2022, qui a été adopté par le Conseil national le 1er mars 2023 avec quelques modifications. Restait à la commission du Conseil des Etats d’y travailler.
Un cheval de Troie dans le financement des allocations familiales
Au lieu de reprendre le même principe de financement indirect aux parents à organiser par les cantons, la commission de la chambre haute veut créer une nouvelle allocation de garde via le système existant et plus directe des allocations familiales (AF). La difficulté de mise en œuvre d’une aide indirecte de la Confédération aux parents, couplée aux aides existantes cantonales ou communales, avait été critiquée lors de la consultation sur le premier projet de loi de la commission du Conseil national. Le nouveau projet de la commission du Conseil des Etats vise à lever cette difficulté en ayant recours à un mécanisme éprouvé, celui des AF qui sont actuellement gérées par un bon millier de caisses de compensation pour allocations familiales (CAF) cantonales, patronales, professionnelles et interprofessionnelles. C’est un point positif qu’il s’agit de relever. Toutefois, contrairement à ce qu’écrit la commission, l’accueil extrafamilial institutionnel ne poursuit pas que des objectifs économiques : il remplit plusieurs objectifs sociaux (socialisation, intégration, etc.) importants auprès des enfants, des familles et de la société dans son ensemble, de sorte que la volonté de lier une aide financière à l’activité professionnelle n’est en soi pas judicieuse. La garde institutionnelle des enfants est un service public avant tout, qui bénéficie à l’ensemble de la société. En tant que telle, elle devrait être financée en grande partie par la Confédération.
Le projet ouvre cependant une brèche dans le système des AF via une proposition de minorité Herzog. Aujourd’hui les allocations familiales sont payées exclusivement par les employeurs et les indépendants (sauf en Valais, une exception). C’est un total de 6,6 milliards de francs que paient les employeurs chaque année et la majorité de la commission considère que le financement des allocations de garde relève de la seule responsabilité des employeurs. Le projet en consultation jusqu’au 12 juin reprend ce principe, mais une minorité Herzog propose un financement paritaire employeur-employé dans le but d’introduire un co-financement de la Confédération à hauteur d’un tiers des coûts totaux (33%). On peut comprendre la manœuvre (parce qu’une nouvelle allocation financée par les seuls employeurs semble n’avoir à l’heure actuelle aucune chance politique), mais cela veut dire que les employé·e·s devraient payer d’une main ce qu’ils recevraient d’une autre. C’est un non-sens.
Surtout, cela créera un précédent dangereux qui risque de s’étendre à d’autres allocations familiales. Or, certains groupes au Parlement ont déjà démontré à plusieurs reprises comme ils apprécient utiliser la tactique du salami pour atteindre des objectifs politiques. Introduire un financement paritaire pour une nouvelle allocation familiale est un cheval de Troie. Pour Travail.Suisse, il convient de mettre un terme à cette stratégie le plus tôt possible. En revanche, prévoir un co-financement par la Confédération est une bonne proposition. Une prise en charge à hauteur de 50% du total des coûts devrait être l’objectif, afin que l’accueil institutionnel extrafamilial soit véritablement un service public. En outre, même si le principe de lier une aide financière aux parents à leur activité professionnelle est discutable, un co-financement important de la Confédération déchargera la charge reposant sur les seuls employeurs.
Changer les objectifs initiaux – une stratégie pour faire échouer le projet ?
Il est frappant de comparer les objectifs poursuivis par l’initiative parlementaire 21.403 avec ceux que la commission CSEC du Conseil des Etats déclare. La première, intitulée « Remplacer le financement de départ par une solution adaptée aux réalités actuelles », a pour objectifs de réduire les coûts à la charge des parents, d’améliorer la conciliation entre vie professionnelle et vie de famille, de prévoir un soutien financier durable de la Confédération en matière d’accueil extrafamilial institutionnel et d’améliorer l’éducation de la petite enfance.
Le projet en consultation, quant à lui, vise des objectifs totalement différents. Pour la commission du Conseil des Etats, les objectifs économiques sont prioritaires, c’est-à-dire ceux de l’économie, qui doit faire face à une pénurie de main d’œuvre sévissant par ailleurs dans toute l’Europe. Un autre objectif déclaré est de contribuer « de manière déterminante à l’assainissement du budget dans les années du plan financier ». Pour la Commission, la Confédération doit se faire rembourser sa charge supplémentaire par les cantons.
Les commissaires ne se soucient plus des parents, de la charge financière souvent insupportable qu’occasionne la garde de leurs enfants (en 2018, l’Université de Neuchâtel a calculé que 66,5% des coûts en moyenne émargent aux parents, avec de fortes différences régionales) et des problèmes de conciliation qui en résultent. Même la qualité de l’accueil institutionnel, pourtant prévu dans les conventions-programmes du premier projet, est supprimé par la majorité de la commission pour des raisons d’économies. Or, une étude d’Infras conclut que les mères augmentent leur taux d’occupation seulement lorsque les frais de prise en charge diminuent et que la qualité de la garde s’accroît.
On peut raisonnablement en conclure que l’objectif poursuivi par la commission de la chambre haute n’est pas de répondre aux problèmes des coûts trop élevés de la garde institutionnel à la charge des parents, du manque récurrent de places d’accueil et les difficultés de conciliation qui en découlent, ni finalement d’agir efficacement contre la pénurie de main d’œuvre. Si l’objectif est en fait de faire échouer l’initiative parlementaire 21.403, on est sur la bonne voie.
Il est dommage que la commission CSEC-CE suive l’orthodoxie financière à la limite de l’anorexie prônée par le Conseil fédéral. La garde extrafamiliale institutionnelle relève du service public, comme l’est l’accès des enfants à la scolarisation obligatoire gratuite. A ce titre, les pouvoirs publics doivent courageusement investir des sommes importantes. Comme tout investissement, des retours sont attendus, ce qui autorise le courage politique à l’endettement qui ne sera que momentané du fait de l’augmentation à terme de l’activité professionnelle des mères. Aujourd’hui, c’est ce projet qui est sur la table et Travail.Suisse se positionnera pour aller de l’avant, tout en préservant les intérêts actuels et futurs des travailleuses et des travailleurs.