Le retour des femmes qui ont arrêté toute activité professionnelle durant plusieurs années pour s’occuper de leur famille est au cœur de l’attention politique depuis plusieurs années. Cet intérêt s’est accru ces deux dernières années en raison de la pénurie de main d’œuvre devenue vraiment problématique dans certains secteurs. Alors que le gouvernement tergiverse et s’en remet aux cantons et aux employeurs, Travail.Suisse propose des pistes d’action où toutes les instances concernées doivent se sentir véritablement concernées.
Faciliter la reprise d’un travail requiert un véritable engagement
Chaque année, 330'000 personnes quittent le marché du travail (moyenne calculée entre 2010 et 2022), qu’elles soient au chômage au sens du BIT ou qu’elles quittent le marché du travail (les changements de place de travail ne sont pas comptés). Entre 25 et 39 ans, les femmes quittent le marché du travail pour des raisons familiales en majorité (55,2%), tandis que les hommes le font en premier lieu pour se former (32,7%).
Mais estimer précisément le nombre de candidat·e·s au retour sur le marché du travail après une interruption pour raisons familiales est impossible. Les données ne sont tout simplement pas recensées. Une estimation intéressante provient d’une étude sur l’interruption du travail avant et après un accouchement (1) : entre 11 et 15% des femmes qui travaillaient avant l’accouchement n’ont plus de travail après alors qu’elles désiraient reprendre leur activité. C’est ce qui explique pourquoi les femmes sont plus nombreuses à souffrir de sous-emploi que les hommes, en particulier les femmes qui ne disposent que de la formation scolaire obligatoire.
Le potentiel de main d’œuvre existe auprès des femmes, c’est certain. Cependant, les besoins et les opportunités varient énormément selon que les personnes ont les moyens de se former à nouveau, bénéficient ou pas d’une formation professionnelle ou tertiaire et selon qu’elles ont une origine migratoire et peut-être un diplôme non reconnu en Suisse. Pour Travail.Suisse, les besoins des travailleurs et des travailleuses priment sur ceux de l’économie, l’idéal étant de faire correspondre les uns aux autres. Pour cela, l’Etat doit prendre des mesures. Hélas, le Conseil fédéral fait la sourde oreille.
Ainsi, il a rejeté la motion Maret 23.3699 qui alerte sur les besoins financiers des femmes disposant de faibles revenus et ayant besoin d’une formation ou d’une reconversion professionnelle et demande le lancement d’un projet-pilote. Dans son avis, le Conseil fédéral cite son rapport au postulat Arslan 20.4327. Or ce dernier ne répond pas aux demandes du postulat, et il propose des champs d’action dont certains relèvent de l’incohérence politique.
Incohérence politique
En juin 2023, le Conseil fédéral répondait au postulat Arslan qui demandait qu’une stratégie globale et des mesures concrètes soient prises pour favoriser le retour à la vie active. Mais le rapport a beaucoup déçu. Nulle trace de stratégie globale et rien de concret n’est proposé, comme le demandait la conseillère nationale Sibel Arslan. Le gouvernement s’est basé sur une étude mandatée par le SECO dont l’axe de recherche et la méthodologie ont été beaucoup critiqués par plusieurs organisations ayant participé à une table ronde à fin novembre 2022. La recherche s’est concentrée sur les principaux facteurs qui influencent l’activité économique des femmes, afin de dégager quatre champs d’action. Ce qui veut dire que l’angle d’analyse du rapport n’est pas celui des personnes éloignées du marché du travail qui souhaitent y revenir et souffrent de grandes difficultés pour y parvenir. L’approche choisie est celle de l’économie, qui veut « mieux exploiter le potentiel de main-d’œuvre et de personnel qualifié offert par les femmes qui ont des enfants ». Ce choix de départ explique que les quatre champs d’action mentionnés sont insuffisants au regard des besoins des candidat·e·s au retour.
Le manque de cohérence politique sur certains sujets laisse songeur. Le Conseil fédéral estime qu’il faut réduire les coûts de l’accueil extrafamilial pour faciliter le retour au travail des femmes. Mais en février 2023, le même Conseil fédéral s'est opposé, pour des raisons comptables, au projet élaboré par la commission de la science, de l'éducation et de la culture du Conseil national (CSEC-N) visant à réduire considérablement les contributions versées par les parents à l'accueil extrafamilial par un engagement accru de la Confédération. Le Conseil fédéral reporte la tâche sur les cantons.
Le gouvernement veut aussi supprimer les incitations négatives à l’emploi, comme la déduction des frais de garde dans l'impôt fédéral direct IFD. La déduction maximale a été relevée au 1er janvier 2023 à 25'000 par année et par enfant. Or, cela ne couvre pas l’entier des frais et n’aura d’effets que pour les revenus les plus élevés puisque l’IFD est fortement proportionnel aux revenus. L’imposition cantonale n'est pas touchée par cette mesure, ce qui en limite la portée.
Enfin, le Conseil fédéral préconise plus de conseils et de formation via les services cantonaux d’orientation, ce qu’approuve en principe Travail.Suisse. Toutefois, tandis que le projet pilote viamia est cité en exemple, le même Conseil fédéral propose un désengagement progressif de la Confédération dans ce projet dans son message relatif à l’encouragement de la formation, de la recherche et de l’innovation (FRI 25-28).
Finalement, le Conseil fédéral se repose sur les entreprises pour aller rechercher les employées qui les intéressent avec des programmes de réinsertion spécifiques, donc des femmes disposant déjà d’une bonne formation ou expérience professionnelle. Nulle part il ne se soucie des femmes moins bien loties, nulle part il ne mentionne la nécessité de créer un congé parental, la mesure phare qui permet d’éviter les départs de la vie active des femmes à la naissance d’un enfant.
Il faut financer les coûts directs et indirects du retour au travail
Quant à la motion Maret 23.3699 (2), adoptée par le Conseil des Etats contre l’avis du Conseil fédéral, elle a été traitée début février par la commission de l’éducation du Conseil national. La conseillère aux Etats se base sur une étude mandatée par l’Office fédéral des assurances sociales OFAS (3) dont il ressort que les besoins financiers sont au premier plan lorsque l’on parle de réintégration des personnes à faibles revenus. Les besoins en formation sont toujours combinés avec la pression de devoir couvrir les besoins vitaux. Il s’agit donc de répondre au besoin de financement des coûts directs (cours, matériel, frais d’inscriptions, etc.) mais aussi indirects (coût de la vie, coûts de la prise en charge des enfants durant la formation, etc.). La commission a reconnu le besoin financier en déposant son propre postulat au lieu d’accepter la motion, qui elle visait le lancement d’un projet-pilote avec la collaboration de certains des cantons qui ont développé une action spécifique dans le domaine. Travail.Suisse espère que le Conseil des Etats acceptera la motion Maret, plus orientée vers l’action concrète et l’expérience qu’un rapport supplémentaire.
Revendications tous azimuts pour résoudre véritablement les problèmes
Travail.Suisse revendique plusieurs mesures tous azimuts. Tout d’abord, il faut faciliter le retour sur le marché du travail des femmes, en particulier de celles dont les ressources financières sont limitées et qui n’ont pas bénéficié de formation post-obligatoire. L’accompagnement et le conseil gratuit (ou à très bas seuil) des personnes candidat·e·s au retour doit devenir prioritaire pour toutes les autorités cantonales (offices cantonaux d’orientation professionnelle, offices régionaux de placement, services sociaux). Il faut éviter l’hydre de la « collaboration inter-institutionnelle » où chaque instance a tendance à renvoyer les cas difficiles vers d’autres pour s’en débarrasser. Chaque service doit se sentir véritablement responsable du succès de la démarche vers la reprise d’un travail et la faciliter, soit par un accompagnement professionnel et des conseils avisés durant plusieurs mois, soit par des cours de formation adéquats, ou encore en finançant - par des bourses spécifiques - les coûts indirects qu’implique une réinsertion ou une reconversion professionnelle.
D’autres mesures en amont sont nécessaires pour éviter que les femmes n’abandonnent leur emploi pour des raisons de difficulté de conciliation ou qu’elles perdent leur employabilité au fil des années par manque de formation continue. Les conditions de travail sont à adapter aux besoins des familles, dont l’accès au travail à temps partiel pour les hommes, l’élimination des discriminations dont souffre le temps partiel ou le fait d’offrir des perspectives professionnelles et de carrière aux travailleurs et travailleuses à temps partiel. Les conditions-cadre permettant la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale font aussi partie des revendications, dont le financement public plus important des coûts de l’accueil extrafamilial par la Confédération ou l’adoption d’un congé parental de plusieurs mois bien rétribué. L’accès à la formation continue constitue un autre axe de revendication, en particulier pour les femmes, les personnes travaillant à temps partiel et toutes les personnes hors du marché du travail et disposant de peu de ressources.
- Rudin M. (2018). Congé de maternité. Interruptions de travail avant et après l’accouchement. In : Sécurité sociale 3 (2018), p. 36–40
- Motion Maret 23.3699. Renforcer le soutien aux formations continues et aux reconversions professionnelles pour favoriser le retour dans le monde du travail
- Mey E.; Brüesch N. ; Meier G.; Adili K.; Vanini A., Chimienti M.; Lucas B. ; Marques M. (2022). Förderung der Qualifizierung Erwachsener: armutsgefährdete und -betroffene Personen in ihren Lebenswelten erreichen. Forschungsbericht Nr. 14/22. BSV, Bern.