L’égalité entre femmes et hommes est au cœur de l’initiative populaire pour un congé familial
Annoncée par une large alliance le 28 novembre dernier, l’initiative populaire fédérale pour obtenir un congé familial sera lancée au printemps 2025. Pour Travail.Suisse, qui fait partie du comité d’initiative avec alliance f, les Vert-e-s, les Vert-libéraux et le Centre Femmes Suisse, c’est la suite logique au succès qu’elle a obtenu avec le congé de naissance pour les pères ou les seconds parents. L’originalité de la proposition réside dans l’objectif d’égalité entre les deux parents : chaque parent aura droit à sa partie, qu’il ou elle ne pourra pas transmettre à l’autre parent. Cet objectif fait sens au vu de la situation vécue par les nouvelles mères sur le marché du travail.
Le 4 juillet 2017, l’alliance créée autour de Travail.Suisse déposait l’initiative « Pour un congé de paternité raisonnable – en faveur de toute la famille » munie de 107'000 signatures. L’initiative prévoyait un congé de naissance pour les pères de 20 jours. A la faveur d’un contre-projet indirect du Parlement, d’un référendum, puis d’une votation populaire largement favorable, les pères et les seconds parents ont, depuis le 1er janvier 2020, le droit de s’absenter 10 jours à la naissance de leur enfant. Il s’agit là d’un (très) petit pas, mais d’une avancée majeure dans la politique familiale de la Suisse, puisque notre pays est passé de 0 à 10 jours d’un coup et en l’espace de deux ans et demi seulement après le dépôt de l’initiative. Aujourd’hui, notre pays a la possibilité de faire à nouveau progresser sa politique familiale de manière décisive avec le lancement, au printemps 2025, de l’initiative populaire pour un congé familial égalitaire de 18 semaines pour chaque parent.
A l’époque de la campagne en faveur du congé paternité, Travail.Suisse a toujours affirmé que ce congé de naissance pour les pères n’était qu’une étape – mais une étape indispensable – sur le chemin menant à l’adoption d’un véritable congé parental pour les deux parents. Elle a soutenu le modèle de la Commission fédérale pour les questions familiales COFF qui défend un congé parental de 38 semaines depuis 2010. Persuadée qu’une nouvelle avancée en faveur de la famille ne pourra convaincre que grâce à une large alliance de différents partis politiques et d’organisations de la société civile, Travail.Suisse s’engage dès maintenant en faveur de la future initiative qui propose un modèle de 36 semaines, soit 18 semaines pour chacun des parents.
L’inégalité actuelle entre parents prétérite durablement les femmes sur le marché du travail
En 2018, Travail.Suisse dénonçait le fait que l’absence du père dans la période qui suit la naissance induit une inégalité dont les femmes souffrent à moyen et long terme. Le fait que seulement la mère soit absente plusieurs mois lors de la naissance d’un enfant peut signifier un risque à l’embauche et un risque à la promotion des femmes. Un risque que certains employeurs veulent éliminer le plus possible. Une étude réalisée sur mandat du Conseil fédéral (1) montre en 2018 que « 11 % des femmes qui avaient un travail avant leur accouchement n’en avaient plus après leur congé de maternité, bien qu’elles souhaitaient reprendre le travail. ».
Telle est la réalité sur le marché du travail pour les femmes devenues mères. A l’annonce de leur grossesse, les femmes font face à des réactions trop souvent négatives : selon l’étude précitée, l’employeur a proposé de mettre fin aux rapports de travail d’un « commun accord » dans 11% des cas. Pour 7%, l’employeur a annoncé vouloir mettre fin au contrat de travail après le congé maternité (respectivement après le délai de protection de 16 semaines). Ainsi, pour près d’une femme sur cinq, l’annonce de la grossesse signifie, pour l’employeur, qu’il envisage de se séparer de son employée. Rien de tout cela pour les hommes : la naissance des enfants se traduit souvent par une promotion ou un meilleur salaire, tandis qu’elle représente un coup de frein dans la carrière des femmes. Depuis, le congé paternité de 10 jours a vu le jour, mais à lui seul il ne renversera pas la tendance étant donné l’inégalité persistante entre les deux parents.
Pour encourager l’égalité, pas de transmission du congé entre parents
L’obligation de s’arrêter de travailler ne concerne actuellement que les mères, pour des raisons évidentes de santé. La loi sur le travail interdit aux femmes de reprendre le travail dans les 8 semaines qui suivent leur accouchement. De la 9ème à la 16ème, elles sont autorisées à travailler uniquement si elles y consentent. C’est une chose d’ailleurs extrêmement rare, vu que la majorité des femmes prolongent à leurs frais (grâce à un solde de vacances ou un congé non payé) un congé maternité jugé trop court en Suisse (14 semaines). Les pères, quant à eux, ne sont pas obligés de prendre leur congé paternité. Dans la réalité, les deux tiers le font effectivement. La nouvelle proposition de congé familial ne touche pas aux dispositions de protection de la santé des femmes, ni à leur congé maternité. Elle n’introduit pas non plus d’obligation de retrait. Si un parent ne souhaite pas faire recours à sa partie de congé familial, il ou elle ne peut pas la transmettre à l’autre parent et cette partie tombe.
L’expérience menée par d’autres pays européens – qui ont adopté un congé familial bien avant la Suisse - a montré dans un premier temps que les pères transmettaient bien souvent leur partie du congé familial à la mère de leur enfant, aggravant ainsi l’inégalité. Depuis, la plupart de nos voisins ont corrigé le tir en prévoyant pour chacun des deux parents une part de congé familial réservée et intransmissible (2). Ce caractère de non-transmissibilité sera repris par le texte de l’initiative. Les initiants ne veulent imposer aucun modèle familial à qui que ce soit, mais les futures dispositions ne doivent pas non plus encourager la persistance du modèle dit « bourgeois moderne » où les mères travaillent certes, mais de manière réduite, tandis que les pères poursuivent une carrière à 100%, sans jamais avoir la possibilité de développer leurs compétences parentales au quotidien.
Une ligne rouge à ne pas franchir : toucher au congé maternité actuel
Les fédérations de Travail.Suisse se sont montrées enthousiastes à l’idée de participer à cette nouvelle aventure. Réunies en séance de comité, elles ont voté à l’unanimité le soutien à la récolte des signatures. Les trois arguments majeurs qui les ont convaincues sont les suivants : premièrement, le congé maternité actuel de 14 semaines ne sera pas remis en question ; deuxièmement les femmes gagnent un congé plus long (4 semaines en plus) ; et troisièmement, les parents à bas revenus reçoivent une indemnité équivalente à 100% de leur ancien revenu (actuellement 80%).
Une initiative populaire vise à inscrire un principe dans la Constitution fédérale. C’est pourquoi tous les détails ne seront pas décrits dans le texte d’initiative : il revient au Parlement de légiférer. Des garde-fous seront toutefois prévus : en aucun cas, le législateur ne pourra réduire les congés de naissance actuels (moins que 14 semaines pour la mère, moins de 2 semaines pour le second parent). Le congé familial sera paritaire et intransmissible, il devra être pris successivement par l’un, puis par l’autre avec un chevauchement de quatre semaines au maximum. Il sera financé par le système des allocations pour perte de gain APG, via une nouvelle assurance parentale qui remplacera l’assurance-maternité et les allocations de paternité. Point crucial pour Travail.Suisse : les revenus les plus bas pourront bénéficier d’une indemnisation pouvant aller jusqu’à 100% du salaire. Le congé familial ne doit pas être un dispositif pour les privilégiés. Enfin, des dispositions transitoires autoriseront le Conseil fédéral à introduire le congé familial de 2 x 16 semaines par voie d’ordonnance dans les cinq ans suivant l’acceptation par le peuple, au cas où le Parlement traînerait les pieds.
Voilà les grandes lignes de l’initiative en préparation. Ce projet galvanise déjà les membres de Travail.Suisse, qui s’organisent en vue de la récolte des signatures. Dans les mois qui suivent, nous aurons maintes fois l’occasion de reparler de cette nouvelle proposition en faveur des familles, un projet qui vise le bien-être de l’enfant et la promotion effective de l’égalité entre les sexes.
(1) Melania Rudin, Bureau BASS. « Congé de maternité : interruptions de travail avant et après l’accouchement », in : CSSS, 7 septembre 2018
(2) COFF. Policy Brief #3 « Congé parental: un investissement nécessaire et rentable ». Novembre 2020.
Plus d'infos sur l'initiative pour un congé familial : www.travailsuisse.ch/conge-familial