Pour une mise en œuvre équilibrée de l’imposition minimale de l’OCDE
Travail.Suisse, l’organisation faîtière indépendante des travailleurs et travailleuses, soutient le projet de l’OCDE et du G20 prévoyant une imposition minimale effective de 15% des bénéfices des grandes entreprises. Mais les recettes supplémentaires ne doivent pas servir à renforcer encore plus l’attractivité fiscale mais être investies par des mesures qui profitent à la fois aux salarié-e-s et aux entreprises. La réforme doit permettre aussi de relancer le débat pour un taux minimum d’imposition de toutes les entreprises en Suisse.
Le projet conjoint de l’OCDE et du G20 sur l’imposition prévoit deux piliers. Le pilier 1 vise à taxer de manière plus juste les bénéfices des quelque 100 plus grandes entreprises multinationales. Il s’agit en particulier d’entreprises de l’économie numérique comme Google, Apple, Facebook etc. Les bénéfices de ces géants du numérique seront davantage imposés dans les Etats ou sont vendus leurs services et produits que là où se situent les sièges de ces entreprises, souvent dans des pays ayant de très bas taux d’imposition, comme l’Irlande ou certains cantons suisses. Le pilier 1 entraînerait une diminution de recettes fiscales dans notre pays ; mais son ampleur est encore inconnue car la mise en œuvre est peu avancée. S’il devait y avoir d’importantes pertes fiscales, Travail.Suisse proposera un contre-financement pour éviter des répercussions négatives pour le service public et les emplois.
Il faut mettre en œuvre le projet sinon des milliards de francs partent à l’étranger
La consultation porte sur le pilier 2 de la réforme, vous pouvez «lire ici» en détail la réponse de Travail.Suisse à la consultation. Il prévoit une imposition minimale effective de 15% des bénéfices des grandes entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros. Ce taux doit être atteint dans chaque Etat. Quelques centaines de groupes d’entreprises suisses et quelques milliers de groupes d’entreprises étrangers actifs en Suisse sont potentiellement concernés. Même si le pilier 2 n’est pas juridiquement contraignant, il faut, selon Travail.Suisse, l’appliquer en Suisse. Sinon, d’importantes recettes fiscales partiront à l’étranger. Car si le taux d’imposition de 15% n’est pas atteint dans un Etat où le groupe fait des bénéfices, la différence entre la charge fiscale effective et la charge fiscale minimale sera imposée ultérieurement dans l’Etat où se trouve la société mère de l’entreprise ou dans d’autres pays où le groupe a des entités.
Selon les estimations, le pilier 2 apportera entre 1 et 2,5 milliards de francs de recettes fiscales supplémentaires en Suisse. La mise en oeuvre du projet prévoit que ces recettes reviendront aux cantons avec une répartition selon la présence des entités constitutives du groupe visé et du taux d’imposition des cantons. La Confédération ne fixe aucune obligation concernant l’utilisation de ces recettes. Mais des signes avant-coureurs montrent déjà que des cantons, en particulier ceux qui ont de faibles taux d’imposition des entreprises, prévoient d’utiliser ces recettes pour compenser la hausse des taux d’imposition des grandes entreprises par d’autres baisses fiscales ; par exemple pour les personnes physiques ou par d’autres mesures de promotion économique. Pour Travail.Suisse, il faut au contraire utiliser les recettes fiscales supplémentaires pour des mesures qui profitent aussi bien aux salarié-e-s qu’aux entreprises. Cela aura aussi l’avantage de trouver plus facilement une majorité lors de la votation populaire prévue en 2023. N’oublions pas que plusieurs réformes qui prévoyaient de baisser la fiscalité des entreprises ou des allégements fiscaux pour la place financière suisse ont été rejetés par le peuple ces dernières années. Cela doit sonner comme un avertissement.
Etendre l’imposition minimale de l’OCDE et du G20 à toutes les entreprises : les avantages
Travail.Suisse avait proposé lors des précédentes réformes de la fiscalité des entreprises en Suisse un taux d’imposition minimal des entreprises au niveau national. L’introduction de l’imposition minimale de l’OCDE et du G20 de 15% pour les grands groupes d’entreprises représente un changement de paradigme et une avancée dans la direction voulue. Etendre cette imposition minimale effective de 15% à toutes les entreprises en Suisse aurait les avantages suivants :
- Cela éviterait de nouvelles inégalités de traitement entre entreprises. Le but de la réforme de la fiscalité des entreprises et du financement de l’AVS (RFFA), acceptée par le peuple en mai 2019, était de mettre fin aux privilèges de certains types de sociétés. Même si c’est pour une bonne cause, l’imposition minimale de l’OCDE rétablit une inégalité fiscale entre entreprises. Son effet pervers est de provoquer des distorsions de concurrence. Eliminer cette inégalité permettrait d’empêcher que les entreprises touchées par une hausse d’impôts ne la reportent sur les fournisseurs de prestations préalables, les consommateurs/trices et les salarié-e-s.
- Cela limiterait de facto une concurrence fiscale intercantonale souvent excessive, sans toutefois la supprimer. Les cantons qui ont de très bas taux d’imposition seront moins incités à prendre des mesures pour atténuer leur perte d’attractivité fiscale, par exemple en baissant massivement la fiscalité des personnes physiques.
- Cela permettrait d’investir suffisamment dans des tâches fondamentales pour le bien commun (conciliation, transition énergétique, infrastructures, recherche et formation etc.) Les prestations publiques et les emplois sont ainsi garantis et toutes les entreprises bénéficient d’excellentes infrastructures grâce à l’augmentation des ressources fiscales des pouvoirs publics.
- Cela profiterait aux entreprises et aux salarié-e-s si on utilise intelligemment les recettes fiscales supplémentaires en milliards de francs. En payant un peu plus d’impôts, les entreprises bénéficieront de contreprestations comme l’amélioration des infrastructures, plus de moyens pour la recherche et la formation et le soutien à l’innovation. En utilisant une partie des recettes pour développer la conciliation entre la vie familiale et professionnelle, les entreprises seront gagnantes car elle augmentera le taux d’activité des femmes ; cela leur permettra de trouver plus facilement le personnel qualifié qui fait toujours plus défaut en raison de l’évolution démographique. Les salarié-e-s gagneront aussi car ils pourront mieux concilier vie familiale professionnelle et seront aussi plus motivés et moins stressés au travail. Et cela crée un cercle vertueux qui bénéficie en retour aux entreprises avec une meilleure productivité.
Une autre possibilité d’utiliser les recettes supplémentaires qui profiterait à la fois aux employeurs et aux travailleurs/euses serait, par exemple, une contribution supplémentaire pour l’AVS, ce qui permettrait de prévenir des augmentations de cotisations. On pourrait aussi envisager une réduction du taux de TVA, ce qui aurait l’avantage supplémentaire de modérer l’inflation.
Relativiser la perte d’attractivité fiscale de la Suisse
On peut relativiser le risque que l’imposition minimale prévue par l’OCDE et le G20 réduise l’attractivité de la Suisse pour l’implantation et le maintien d’entreprises en Suisse. D’abord, l’imposition minimale du Pilier 2 réduit l’avantage des pays à très basse fiscalité pour les entreprises, en concurrence avec la Suisse. Ensuite, si l’avantage comparatif de la Suisse par rapport à des pays à forte fiscalité se réduit, celui-ci persiste toujours. Enfin, l’attractivité d’une place économique dépend plus d’un ensemble de facteurs que d’un seul, même si celui de la fiscalité est important. Dans cette perspective, la Suisse dispose de nombreux autres atouts que la fiscalité pour l’implantation des entreprises, comme un excellent système de formation et une main d’œuvre qualifiée, les Hautes écoles, d’excellentes infrastructures, la qualité de vie, un marché du travail flexible, un partenariat social bien rôdé et une administration efficace.