Les résultats de l’analyse de 27 entreprises suisses sont choquants en ce qui concerne la proportion de femmes siégeant dans les conseils d’administration et les directions de groupe: le pourcentage féminin a baissé en 2011.
Depuis neuf ans, Travail.Suisse relève le pourcentage de femmes dans les directions et les conseils d’administration de 27 entreprises suisses sélectionnées1. Cette année, le tableau se révèle plutôt sombre: la proportion féminine, aussi bien dans les directions que dans les conseils d’administration, a baissé par rapport à 2010.
Seul un membre de la direction d’entreprise sur 20 est une femme
L’année dernière, la proportion féminine dans les directions de groupe des entreprises étudiées est passée de 5,24 % à 5,20 . Seul un bon tiers des entreprises passées sous la loupe compte une femme dans sa direction de groupe. La seule et unique entreprise au sein de laquelle plus d’une femme travaillent dans la direction est le groupe horloger Swatch. La situation est similaire au niveau des conseils d’administration, même si la proportion est toutefois un peu plus élevée. Cette proportion de femmes a légèrement baissé, de 0,3 point de pourcentage, pour se situer à 13,4.
Il faudra encore 140 ans avant d’atteindre un rapport équilibré entre les hommes et les femmes
Dans quatre entreprises de l’industrie des machines (Ascom, Bobst, Oerlikon et Schindler), ainsi que chez Valora, Clariant et Implenia, aucune femme n’est représentée dans les deux plus hauts conseils, ce qui constitue une part considérable de 26 % des entreprises étudiées.
Certes, la proportion de femmes dans la direction de groupe a doublé depuis 2002, passant de 2,36 % à 5,20 . Mais cette croissance ne correspond qu’à un faible 0,3 par an. On constate dans le conseil d’administration une augmentation de 4,8% en neuf ans, soit un taux de croissance annuel de 0,5%. Si cette évolution se poursuit à ce rythme, il faudra encore 68 ans avant que l’on atteigne une représentation équilibrée entre les hommes et les femmes au sein des conseils d’administration. Dans les directions de groupe, il faudrait encore 141 ans, soit jusqu’en 2153.
Insupportable pour l’économie et la société
Mais l’économie suisse ne peut pas se permettre une évolution aussi lente. Depuis quelques années, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à obtenir un diplôme universitaire. Les entreprises ne peuvent pas se permettre de ne pas mieux exploiter la moitié du potentiel, c’est-à-dire de ne pas maintenir et promouvoir les femmes sur le marché du travail. En outre, diverses études démontrent l’effet positif qu’ont les femmes dans les organes de direction sur la performance de l’entreprise. Ainsi, une étude menée par McKinsey2 parvient-elle à la conclusion que les entreprises ayant un meilleur équilibre entre hommes et femmes présentent des bénéfices plus élevés.
Actuellement, de nombreuses entreprises misent sur la diversité, ce qui signifie que tous les candidats doivent avoir les mêmes chances, indépendamment de leur origine, de leur sexe et de leur âge. Toutefois, étant donné que souvent aucun soutien explicite n’est prévu pour les minorités, cela ne suffit pas pour promouvoir les femmes d’une manière appropriée. Il faut des mesures concrètes qui permettent aux femmes disponibles, motivées et ayant reçu une bonne formation d’obtenir les mêmes postes que leurs concurrents masculins. Les mesures requises commencent avec l’image de l’entreprise, dans le recrutement du personnel et avec une formation continue ciblée. De plus, ce sont surtout les mesures visant à mieux concilier vie familiale et vie professionnelle qui sont importantes, comme par exemple la possibilité de travailler à temps partiel ou en partageant un poste de travail (« jobsharing »), à tous les niveaux.
Des taux de plus en plus élevés pour les conseils d’administration en Europe
Dans les Etats de l’UE, la représentation des femmes dans les conseils d’administration et les directions de groupe est très variée. Dans les conseils d’administration, la moyenne se situe autour de 13,7%, mais les différents pays varient entre 3% (Malte) et 27% (Finlande). Il y a un an, la Commissaire européenne Vivian Reding a essayé de motiver les entreprises à embaucher davantage de femmes, sur une base volontaire, dans les directions. Seules 24 entreprises ont répondu à son appel à un engagement volontaire et se sont déclarées prêtes à atteindre un taux de 40% d’ici à 2020. La Commissaire européenne à la justice annonce maintenant de nouvelles mesures. Une consultation publique est ouverte sur ce sujet jusqu’à fin mai, de nouvelles étapes seront décidées ensuite.
Entre-temps, divers pays européens ont édicté leurs propres lois. La Norvège est une pionnière, en ayant depuis décembre 2003 un taux de femmes de 40% pour les membres du conseil d’administration des entreprises cotées en Bourse. La France a introduit récemment un taux de femmes de 40% également, qui devra être atteint d’ici à 2016. Depuis lors, la proportion augmente fortement. L’Espagne, le Danemark, la Finlande, la Grèce, l’Autriche ont également introduit des mesures concrètes au niveau législatif pour la promotion des femmes.
Quels sont les taux en Suisse?
En Suisse, des propositions ont été faites, visant à réduire le déséquilibre entre hommes et femmes à l’aide de directives, jusqu’ici sans grand succès. Au printemps dernier, une motion déposée par l’ancienne conseillère nationale Katharina Prelicz-Huber, qui demandait un taux de 40%, fut nettement rejetée. En juin 2011, le Conseil fédéral a défini pour l’administration fédérale des valeurs théoriques à atteindre, définies sous la forme d’intervalles. Elles se situent entre 16 et 20% pour les cadres supérieurs et devront être atteintes d’ici à 2015. Dans les entreprises liées à la Confédération, il n’existe aucune prescription légale à l’exception d’un principe directeur exigeant « une représentation équilibrée des sexes et des régions linguistiques ». Les chiffres de notre étude montrent que cette réglementation est insuffisante: Swisscom, La Poste et Ruag comptent une proportion féminine qui se situe entre 0 et 10% dans leur direction de groupe, et entre 0 et 22% dans leur conseil d’administration.
Des entreprises prennent l’initiative et pourtant elles ne font pas de progrès
Roche est une entreprise qui définit tout de même ses propres objectifs en ce qui concerne la représentation des sexes au niveau des cadres supérieurs. La direction s’est fixé le but d’atteindre une certaine proportionnalité des genres de 20% chez les cadres supérieurs d’ici 2014. Pour l’heure, Roche est encore loin d’avoir atteint son objectif.
Certaines entreprises déploient des efforts visant à encourager les femmes à devenir cadres (ou du moins elles le disent) et pourtant les progrès ne sont guère visibles. Dès lors, la question se pose de savoir comment concrétiser sérieusement et globalement cette forme de promotion féminine et s’il ne faudrait pas des réglementations légales.