Le 25 novembre 2018, le peuple suisse votera sur la base légale pour la surveillance des assurés. Avec cette loi, le Parlement souhaite donner à toutes les assurances sociales – y compris aux assurances maladie – la possibilité de surveiller leurs assurés. Les assurances ont obtenu davantage de compétences que la Police pour lutter contre la fraude à l’assurance. Certes, celle-ci est punissable, mais il faut toutefois trouver une solution respectueuse de notre ordre juridique. Comme pour les infractions, l’autorisation d’un juge doit également être nécessaire pour une surveillance en cas de soupçon de fraude à l’assurance. Non à un chèque en blanc pour les assurances !
Le Parlement était pressé : Rarement un amendement de la loi aura été voté aussi rapidement que celui de l’introduction de la surveillance des assurés. Il n’aura fallu que six mois pour passer de l’initiative parlementaire au vote final du Parlement. La nouvelle base légale était nécessaire parce que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait constaté que la Suisse ne disposait pas d’une base légale suffisante pour surveiller les assurés. Il fallait stopper la surveillance des assurés. Par ailleurs, l’événement montre pourquoi il faut rejeter l’initiative d’autodétermination soumise en même temps à la votation : Grâce à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, la citoyenne suisse qui s’était défendue contre sa surveillance a pu faire valoir ses droits. En cas de oui à l’initiative, la Suisse devrait peut-être résilier l’accord correspondant.
Nouveauté : une surveillance accordée à toutes les assurances sociales
Le référendum – que Travail.Suisse a également soutenu – a été lancé contre la base légale de la surveillance des assurés, base légale votée à la va-vite. Cela permet un débat public concernant la surveillance des assurés. Les partisans souhaitent faire valoir de manière convaincante que seule la surveillance des bénéficiaires de l’AI et de l’aide sociale est réglementée dans la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) – comme cela avait déjà été fait avant le jugement d’octobre 2016. Toutefois, la LPGA contient des réglementations qui s’appliquent en principe à toutes les branches des assurances sociales – à l’exception de la prévoyance professionnelle. Donc également à l’AVS, aux caisses maladie ou aux assurances accidents privées. À l’avenir, toutes les assurances sociales pourraient donc surveiller leurs assurés et chaque citoyen ou citoyenne pourrait ainsi être potentiellement à la merci d’une telle surveillance.
Les assurances décident elles-mêmes des personnes à surveiller
L’Etat a donc fortement élargi la possibilité de s’immiscer dans la sphère privée des citoyennes et citoyens. Le Parlement a placé très bas la barre de l’obstacle que constitue l’observation des assurés. Les assurances sociales et les assurances accidents pourraient décider elles-mêmes d’une surveillance et la confier à des détectives privés. Elles auraient toute latitude pour décider si la suspicion initiale suffit à justifier une surveillance. L’expertise d’un juge ne serait pas nécessaire et aucun organe indépendant ne devrait vérifier si l’ingérence dans la sphère privée est justifiée ou non. Lors du débat parlementaire, la Commission compétente a décidé dans un premier temps que les assurances devraient obtenir l’autorisation d’un juge pour surveiller un assuré. Toutefois, après un lobbying intense de la Suva et de l’Association suisse d’assurances (ASA), cette même Commission a changé d’avis lors de la séance suivante et a supprimé cette disposition (l’autorisation d’un juge n’est requise que pour localiser des personnes à l’aide de traceurs GPS). Si la surveillance est mise en place en dernier recours, il n’est pas pertinent de prétendre que l’effort à déployer pour obtenir l’autorisation d’un juge est élevé. Bien au contraire. Une procédure propre, fondée sur le droit, est indispensable parce qu’elle implique une incursion flagrante dans la sphère privée d’une personne. Ce sont précisément les assurances privées qui doivent générer des bénéfices, qui pourraient par ailleurs faire usage de façon assez libre de la nouvelle réglementation.
La surveillance est une tâche relevant de la souveraineté de l’Etat
Selon l’art. 148a du Code pénal, toute fraude à la sécurité sociale est punissable et doit être sanctionnée. Il appartient à la Police et à la Justice de clarifier la situation, et non pas aux assurances, ni à leurs détectives privés, comme le prévoit la modification de la loi sur laquelle nous voterons le 25 novembre prochain. Il y a quelques jours, le Conseil fédéral a publié un projet d’ordonnance et précisé les exigences posées aux personnes qui mèneront les surveillances. Cependant, ce projet ne doit pas occulter le fait que ces personnes restent des particuliers qui porteraient atteinte à des droits fondamentaux. On ne saurait privatiser de telles tâches ! À cela s’ajoute que le Tribunal fédéral a également admis jusqu’ici des preuves acquises illégalement. Cela invite aussi des détectives privés qualifiés à dépasser les bornes. Avec cette loi, le Parlement leur a déjà accordé davantage de possibilités de surveillance discrète qu’il n’en a accordé à la Police. En suspectant tous les citoyens de toucher indûment des prestations des assurances sociales, on ouvre tout grand la porte à la dénonciation. Aux yeux de détectives privés axés sur la performance, beaucoup d’indications seraient bonnes à prendre. Une chose est claire pour Travail.Suisse : la surveillance ne doit être permise que moyennant l’autorisation d’un juge !
Il ne faut pas grossir le problème plus que de nature
Le débat portant sur les abus ne cesse de revenir sur la place publique à l’aide de cas isolés extrêmes. Il ne faut cependant pas oublier que le destin de nombreuses personnes requiert qu’elles soient tributaires d’une assurance sociale ou de l’aide sociale pour vivre dignement. Certes, il faut condamner les abus commis auprès des assurances sociales et les sanctionner de manière appropriée. Mais il s’agit de garder le sens des proportions. La suspicion généralisée ne doit pas empêcher des personnes dans le besoin d’obtenir une prestation. Le refus du projet de loi le 25 novembre prochain contraindra le Parlement à proposer une solution propre, fondée sur le droit, pour surveiller les assurés.