La pause politique estivale a été marquée par les discussions sur l’accord-cadre institutionnel et les mesures d’accompagnement de la libre circulation des personnes. Travail.Suisse, l’organisation faîtière indépendante des travailleurs, a participé, au début, aux entretiens avec le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann. Ils ont été interrompus lorsqu’une fois encore ont été présentées des propositions visant à diminuer la protection des salaires, sans indiquer comment le niveau des dits salaires pouvait être maintenu. Toute atteinte aux mesures d’accompagnement qui ne serait pas une amélioration menace, en cas de vote, l’adhésion de la population à l’accord-cadre.
Il apparaissait clairement depuis longtemps que les mesures d’accompagnement (MAC) de la libre circulation des personnes feraient partie de la discussion lors des négociations sur l’accord-cadre institutionnel de la Commission européenne. Le comité de Travail.Suisse s’est occupé intensivement de la politique européenne lors de sa réunion de février 2017 au Tessin et il a reconnu l’importance économique des accords bilatéraux avec l’Union européenne. Une petite économie ouverte et tournée vers l’exportation comme celle de la Suisse dépend de relations réglementées avec ses principaux partenaires commerciaux. Mais en même temps, Travail.Suisse, en sa qualité d’organisation faîtière des travailleurs, estime que l’acceptation de la libre circulation des personnes et de la concurrence absolue qui lui est liée entre la main-d’œuvre indigène et celle qui vient de l’UE ne va pas simplement de soi. Par rapport à la population résidente, et par comparaison avec tous les Etats de l’UE, c’est principalement vers la Suisse que sont détachés la plupart des travailleurs.
Les mesures d’accompagnement (MAC) étaient et restent la ligne rouge
La libre circulation des personnes ne va pas sans les mesures d’accompagnement. Lors de l’introduction de la libre circulation des personnes, promesse a été faite que ces mesures permettraient de protéger les conditions de salaire et de travail en Suisse. Cette promesse a été plus ou moins tenue jusqu’à ce jour. Travail.Suisse s’engage pour qu’elle puisse également l’être si un accord-cadre est adopté. L’assemblée des délégués de Travail.Suisse a réaffirmé sa position fin avril de cette année. Il a été précisé, dans la résolution votée alors, qu’un accord-cadre avec l’UE n’était pas d’une utilité immédiate pour les travailleurs et que les mesures d’accompagnement ne devaient en aucun cas tomber dans le domaine d’application de l’accord ni être affaiblies dans les négociations (pour la résolution).
C’est justement cet affaiblissement des MAC que le conseiller fédéral Ignazio Cassis a mis en discussion début juin lors d’un entretien radiodiffusé. Non sans raison : Le Secrétaire d’Etat Roberto Balzaretti a rapporté que l’UE, pour conclure l’accord-cadre avec la Suisse, attendait de celle-ci une concession en matière de mesures d’accompagnement. Travail.Suisse a réagi clairement à ce propos le 15 juin : Il n’y a aucune raison de mettre en discussion la protection des salaires. Vis-à-vis de l’UE, les MAC doivent être déclarées la ligne rouge à ne pas dépasser. Le Conseil fédéral a confirmé cette position le 4 juillet. Le Département de M. Schneider-Ammann voulait cependant « se renseigner encore sur la manière de penser des partenaires sociaux et des cantons » comme il est dit dans le communiqué aux médias du Conseil fédéral. Il n’y est pas question de négociations. C’est peut-être un détail, mais cela amène à poser la question de savoir si la démarche du conseiller fédéral Schneider-Ammann a le soutien du Conseil fédéral.
« Action estivale » maladroite du conseiller fédéral Schneider-Ammann
La procédure prévoyait trois phases : entretiens bilatéraux avec les présidents des partenaires sociaux et les cantons, un tour de table technique pour discuter de propositions concrètes et, le 1er septembre 2018, une réunion des comités directeurs des partenaires sociaux et des cantons. Travail.Suisse était présent lors de la phase 1. Le président Adrian Wüthrich a pu, le 30 juillet, lors d’un long entretien téléphonique avec le conseiller fédéral Schneider-Ammann, expliquer clairement que la Suisse devait régler la protection des salaires et des conditions de travail de manière autonome – sans dépendre de la bénédiction de l’UE. Le message était clair : on ne touche pas aux mesures d’accompagnement.
À titre de préparation à la phase 2, le conseiller fédéral Schneider-Ammann a soumis un document décrivant les objectifs et le mandat du groupe de travail technique, et exprimé le désir que tous les comités directeurs le signent. Pour le président d’une organisation faîtière de travailleurs, il était impossible de faire cela, car on ne pouvait pas savoir comment le niveau de protection des MAC serait maintenu, si en même temps le groupe de travail devait discuter, pour les sept thèmes proposés, une réduction des mesures d’accompagnement. Bien que Travail.Suisse ait présenté les 4 et 5 août 2018, par écrit et oralement, des prises de position correspondantes, des documents ont été établis le 7 août sans propositions claires de compromis. La réduction a été encore exposée plus complètement dans une note de plusieurs pages – mais sans contre-mesure pour maintenir le niveau de protection. Lors de la conférence téléphonique convoquée à court terme pour le 8 août, le conseiller fédéral Schneider-Ammann a fait savoir à ses interlocuteurs que l’Union syndicale suisse (USS) ne participerait pas à la suite des discussions. À la critique encore une fois formulée, il n’y a pas eu de commentaire indiquant une marche arrière, au contraire. Les organisations faîtières des travailleurs devaient contribuer à maintenir les emplois en Suisse et discuter des mesures d’accompagnement. Travail.Suisse pourrait présenter des propositions d’amélioration pendant la phase 3, lors des discussions avec les comités directeurs du 1er septembre. Voilà ce qu’a dit le ténor du département de l’économie.
Qu’on se représente bien la chose : Le groupe de travail technique devrait examiner non seulement la règle des 8 jours, mais six autres points de réduction à l’égard desquels l’UE se montre critique. Le groupe de travail n’aurait traité aucune mesure de compensation pour maintenir le niveau des salaires. Celles-ci auraient dû être introduites dans la discussion politique, sans la moindre préparation technique. Si un compromis avait dû intervenir, le mandat du groupe de travail aurait dû être différent. Pour Travail.Suisse, c’était clair : On ne pourra pas se rallier à un compromis. Et bien que Travail.Suisse continue de tenir le partenariat social en haute estime, dans cette situation, continuer de discuter n’avait plus de sens.
Travail.Suisse reste ouvert aux discussions
La situation n’est malheureusement pas nouvelle. En janvier/février 2016, les partenaires sociaux, la Confédération et les cantons s’étaient expliqués, à propos de la mise en œuvre de l’article 121a de la Constitution fédérale, pendant six séances consacrées aux mesures supplémentaires visant à combattre les abus sur le marché du travail. Les représentants des employeurs n’étaient pas prêts à faire des concessions et c’est pourquoi les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à une entente. C’est une grande altération par rapport aux étapes d’ouverture actuelle. Les employeurs refusent toute amélioration de la protection des salaires. Bien que les associations patronales prétendent vouloir elles aussi maintenir le niveau des salaires, il leur reste à prouver dans les faits qu’elles le pensent sérieusement. L’Union suisse des arts et métiers soutient toujours la règle des 8 jours, mais refuse également de donner son accord à des améliorations pour les MAC. Travail.Suisse a, quant à lui, misé sur des solutions véritablement « créatives » qui, au bout du compte, auraient signifié un renforcement des mesures d’accompagnement. Mais le processus engagé par le Département de M. Schneider-Ammann donne l’impression qu’en premier lieu, une réduction masquée des MAC est visée et qu’il faut unilatéralement considérer avec bienveillance la critique de la Commission européenne. Entre autres, la mise en œuvre des MAC doit être contrôlée par les commissions paritaires, mais pas la mise en œuvre des cantons, ce qui va nettement au-delà de la question d’abord posée du transfert du coût des contrôles.
Travail.Suisse maintient son soutien à la décision du Conseil fédéral du 4 juillet. Le Conseil fédéral doit déclarer que les MAC constituent la ligne rouge. L’accord-cadre n’a aucune chance de voir le jour si, pour tous les points litigieux, une solution consensuelle avec l’UE est trouvée (obstacles techniques au commerce, bourse, etc.), mais que seuls les travailleurs doivent faire des concessions. Une chose qu’on oublie : d’autres domaines restent sans solution (notamment citoyenneté européenne, aides d’Etat). Même avec une concession sur les MAC, un accord-cadre ne serait pas encore sous toit, même si actuellement il semble que la raison en soit le retrait des organisations syndicales.
Travail.Suisse est d’accord de procéder à une évaluation des mesures d’accompagnement de la libre circulation des personnes. Des améliorations peuvent y être apportées. Mais la Suisse doit apporter des améliorations de manière autonome, sans pression de l’UE. Une nouvelle procédure d’annonce par ordinateur, financée par la Confédération, peut améliorer en pratique la mise en œuvre des mesures d’accompagnement. Travail.Suisse est prêt à participer à des discussions à ce propos en dehors des négociations sur un accord-cadre.