En Suisse, le taux de pauvreté absolue est descendu à 3,5 pour cent. Mais le risque de tomber dans la pauvreté, 7,7 pour cent, reste relativement élevé en comparaison européenne. Il apparaît une fois de plus que les travailleurs et travailleuses sans certificat de formation professionnelle et les familles sont, plus que la moyenne, fortement touchés par la pauvreté. Travail.Suisse, l’organisation faîtière indépendante représentant 170’000 travailleurs et travailleuses, réclame une offensive en matière de rattrapage de formation et une augmentation substantielle des allocations familiales.
En Suisse, le taux de pauvreté absolue a diminué entre 2008 et 2010. Nouvelle positive certes, mais qui ne doit pas porter à l’euphorie. En effet, 3,5 pour cent du total des travailleurs et des travailleuses et des familles demeurent au-dessous du seuil de pauvreté, fixé à 2’250 francs, respectivement 4’000 francs. Le risque relatif de tomber dans la pauvreté reste à 7,7 pour cent, comparativement élevé donc. En comparaison internationale, la Suisse n’est dépassée que par les pays du Sud et de l’Est de l’Europe.
Absence de formation : piège à pauvreté
Sans certificat de formation professionnelle, 15 pour cent des travailleurs et travailleuses sont menacés de tomber dans la pauvreté. Ils souffrent de conditions de travail précaires et d’engagements de durée limitée. Plusieurs raisons à cela :
- Premièrement, ces travailleurs et travailleuses n’ont pratiquement aucune chance d’obtenir un salaire qui couvre leurs besoins de subsistance. Travail.Suisse a montré en 2009 déjà dans une étude (BASS 2009) qu’un travailleur sans formation postscolaire gagnait en moyenne 1’500 francs de moins par mois que celui qui avait un CFC, soit 20 à 30 pour cent du revenu. Il ne faut donc pas s’étonner si des personnes sans formation sont souvent pauvres, alors même qu’elles exercent une activité rémunérée, et notamment si elles ont une famille et doivent donc subvenir aux besoins de leurs enfants.
- Deuxièmement, les travailleurs et travailleuses sans formation sont fortement désavantagés sur le marché du travail. Les demandes d’emploi qui ne sont pas accompagnées d’un certificat de formation professionnelle n’ont en principe aucune chance. Et puisque, de plus, beaucoup d’offres de formation continue ne sont accessibles qu’aux personnes qui ont terminé une première formation, cette voie, qui permet d’améliorer ses chances sur le marché du travail (et sa rémunération), est fermée. Des périodes de chômage à répétition et une absence de formation continue augmentent finalement le risque que les personnes concernées se retrouvent au chômage pour une longue durée, ou se voient carrément exclues du marché du travail.
- Troisièmement, même des travailleurs et travailleuses insuffisamment formés mais qui, à force de travail et grâce à leurs bonnes prestations, ont réussi à occuper une meilleure position professionnelle et reçoivent un bon salaire, sont menacés. S’ils se retrouvent un jour au chômage, il ne leur est guère possible de trouver un nouvel emploi, à un échelon comparable et avec un même salaire.
En outre, tous les problèmes liés à une insuffisance de formation deviennent toujours plus aigus avec les changements structurels de l’économie. Seul, celui qui dispose d’une formation et d’une expérience est en mesure de maîtriser les changements qui affectent le marché du travail.
Une offensive dans le rattrapage en matière de formation est nécessaire
La principale mesure susceptible d’atténuer la pauvreté des travailleurs et travailleuses sans certificat de formation consisterait à imposer le rattrapage professionnel des adultes. Cette exigence a déjà rapporté quelques succès à Travail.Suisse. Dans de nombreux cantons, la validation d’acquis de formation dans certaines professions choisies est en cours. C’est un instrument qui permet aux travailleurs d’acquérir après coup un certificat de capacité professionnelle, dans un délai utile, et pour une dépense supportable. Le nombre annuel des certificats résultant de cette validation se monte à 500 environ à ce jour, ce qui est très modeste, pour ne pas dire totalement insuffisant.
Pour que le rattrapage acquière une plus grande puissance de réalisation et que la validation des prestations de formation devienne la norme, Travail.Suisse demande au Conseil fédéral de lancer une initiative de formation analogue pour relever le taux de formation des jeunes à 95 pour cent d’une volée. Pour cela, il faut d’abord un engagement de la Confédération, des cantons et des partenaires sociaux, puis des buts quantitatifs – Travail.Suisse réclame 3’000 certificats de capacité professionnelle par an pendant dix ans – et enfin un organe de surveillance pour contrôler exactement que les buts quantitatifs ont été atteints.
C’est ainsi seulement que la validation d’acquis de formation et le rattrapage professionnel deviendront des éléments naturels du paysage de la formation en Suisse et constitueront une contribution effective à la lutte contre la pauvreté.
Les enfants restent un facteur de pauvreté
Le second grand groupe de risque en termes de pauvreté est constitué par les familles. Le taux de pauvreté y est de 14,4 pour cent, c’est-à-dire presque égal à celui des travailleurs et travailleuses sans formation. Les familles monoparentales sont particulièrement touchées avec un taux de pauvreté de 25,7 pour cent. Deux principales raisons à cet état de fait :
- La première, c’est que les enfants constituent un facteur de risque de pauvreté pour certaines familles, puisque les enfants coûtent cher. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), les coûts d’un premier enfant s’élèvent à 819 francs par mois. Deux enfants coûtent chacun 655 francs, soit 1’310 francs par mois pour la famille, et avec trois enfants on atteint même 1’583 francs, soit 528 francs par enfant. Une telle charge supplémentaire n’est pas facilement supportable pour beaucoup de travailleurs et travailleuses aux salaires bas ou même moyens, et peut les faire tomber rapidement au-dessous du seuil de pauvreté.
- La seconde raison des difficultés financières que rencontrent beaucoup de familles, ce sont les coûts indirects des enfants, essentiellement la baisse de revenus, due à la cessation ou à la réduction de l’activité salariée de la mère (rarement celle du père). Les travailleurs et travailleuses à temps partiel exercent souvent des jobs peu rémunérés et, la plupart du temps, ne font pas carrière, ce qui augmente encore, avec le temps, la diminution de salaire. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), le salaire d’un couple avec deux enfants se réduit en moyenne de 1’400 francs. Si cette réduction s’ajoute aux coûts élevés des enfants, l’équilibre financier est rapidement perturbé.
Aux difficultés financières nées pendant la phase d’éducation des enfants, s’ajoute ultérieurement le fait que les contributions aux assurances sociales diminuent proportionnellement à la baisse des revenus et que la couverture sociale se réduit.
Augmenter les allocations familiales
Grâce à l’initiative lancée par Travail.Suisse « Pour de plus justes allocations pour enfants ! », il existe maintenant une allocation pour chaque enfant en Suisse. À l’échelle fédérale, des sommes minimales ont même été fixées pour les allocations familiales et les allocations de formation. Elles se montent aujourd’hui à 200 francs pour les premières, et à 250 francs pour les secondes, mais ne suffisent de loin pas à compenser les coûts et les diminutions de revenu des familles. Travail.Suisse demande donc une nette augmentation des allocations familiales à 350 francs et des allocations de formation à 500 francs par enfant. Ainsi seulement, les familles pourront être protégées de la pauvreté, et leurs prestations incalculables en faveur de la société seront reconnues comme elles le méritent.