Manifestations, grève nationale, mais aussi assises, catalogues de revendications et campagne humoristique sur les réseaux sociaux font suite au mouvement #metoo. Le « momentum » de l’égalité est déjà là. Travail.Suisse n’est pas en reste avec son document de position sur l’égalité. L’automne 2018 sera chaud : un échauffement avant les élections nationales de 2019 ?
La mobilisation internationale contre le harcèlement sexuel à la suite de la prise de parole de victimes dans le milieu du cinéma et des arts a pris une ampleur inégalée. Depuis l’automne 2017, avec le hashtag #metoo, la prise de conscience amorcée sur les réseaux sociaux s’est poursuivie dans les médias, dans les entreprises, les organisations internationales, dans les conversations entre individus. Pas une semaine ne passe sans que l’on apprenne que tel dirigeant ou tel acteur célèbre est accusé de harcèlement, parfois après des années de mutisme et de peur.
Cette campagne ne date pourtant pas d’hier. Elle a été lancée il y a déjà 10 ans par Tarana Burke, une militante américaine et directrice de l’association « Girls for gender equity » basée à Brooklyn. Le site internet du mouvement ouvre sur un chiffre : près de 18 millions de femmes ont dénoncé une agression sexuelle depuis 1998.
Le harcèlement, une triste réalité pour une personne sur trois en Suisse, chaque année
C’est une triste réalité : les violences sexuelles commises envers les femmes et les hommes sont présentes, à différents degrés, dans tous les pays du monde. En Suisse aussi. Le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes BFEG et le Secrétariat d’Etat à l’économie SECO ont mené l’enquête en 2007 . Leur conclusion est parlante : « (…) 6.5% des personnes ayant un statut de salariées ont été confrontées en Suisse dans l’année écoulée à un harcèlement sexuel au travail, les femmes (10.3%) nettement plus que les hommes (3.5%). Sur l’ensemble de la vie professionnelle, 18.1% ont été une fois au moins harcelés sexuellement, 28.3% de femmes et 10% d’hommes. »
Le harcèlement couvre une large palette d’actes punissables par la loi, au nombre desquels le comportement potentiellement importun (commentaires verbaux, plaisanteries déplacées, gestes, insinuations, images obscènes imposées, etc.). Ce type de comportement est très fréquent : « une personne sur trois au cours des 12 derniers mois et plus d’une personne sur deux au long de sa vie professionnelle a été victime d’au moins un comportement potentiellement importun, les femmes plus souvent que les hommes sur l’ensemble de leur vie professionnelle (54.8% contre 48.6%). »
Devant l’ampleur du phénomène, plusieurs fiches d’informations et guides pour les employeurs et les employé-e-s ont été développés pour faire face à ces situations inacceptables et sont à disposition tant sur le site du BFEG que sur celui du SECO .
Les agissements d’un puissant producteur de cinéma hollywoodien – Harvey Weinstein – ayant enfin été révélés, l’actrice américaine Alyssa Milano reprend le titre de la campagne de 2007 et y appose un hashtag (#). En France, un autre hashtag met le feu aux réseaux sociaux, #balancetonporc, lancé par journaliste française Sandra Muller, inspirée par le titre d’un article paru dans le journal Le Parisien relatant l’affaire Weinstein. Depuis, le flot des dénonciations ne tarit pas, donnant aussi lieu à des dérives inacceptables, comme celle de nommer (et de condamner sans jugement) une personne, en dehors de l’Etat de droit.
Les sénateurs portent-ils des tampons auriculaires ?
Voilà le contexte dans lequel s’inscrivent les débats de nos parlementaires sur la révision de la Loi sur l’égalité. D’arguties en arguments fallacieux, de contre-vérités au rejet des informations statistiques officielles, plusieurs Conseillers d’Etats – des hommes exclusivement – se sont illustrés de manière nauséeuse sur le sujet. Alors que cette révision ne vise qu’à combler une grave lacune de la loi : si la discrimination salariale est illégale, rien n’est prévu pour que soit appliquée la loi ; ni auto contrôles, ni contrôles externes, et encore moins des sanctions, même progressives. On est en droit de se poser la question : la politique nationale porte-t-elle des tampons auriculaires pour être sourde à ce point à ce « momentum » de l’égalité ? Après le Conseil des Etats, c’est au tour du Conseil national et de sa commission de se pencher sur le très modeste projet du Conseil fédéral. Espérons que la chambre basse prenne les choses plus au sérieux et rétablisse le projet initial.
Manifestation nationale #ENOUGH18 pour l’égalité salariale
Suite à ces débats parlementaires, la mobilisation en faveur de l’égalité salariale a pris de l’ampleur. Le renvoi du projet de révision de la LEG a provoqué une onde de choc. Une quarantaine d’organisations féminines, masculines, religieuses, syndicales préparent une grande manifestation nationale le 22 septembre 2018 à Berne. Histoire de faire entendre – au cours de la session parlementaire d’automne – le ras-le-bol des femmes, qui souffrent depuis trop longtemps de discrimination salariale. Chaque mois en moyenne, les femmes sont privées de 600 francs. Reportée à l’ensemble des travailleuses, cette moyenne représente la somme colossale de plus de 7 milliards de francs qui manquent aux femmes chaque année, sans aucune raison objective. C’est le lourd tribut de la discrimination.
Travail.Suisse se joindra à cette manifestation, tout comme ses membres Syna, SCIV et OCST. La revendication de l’égalité salariale fait bien sûr partie de sa position générale sur l’égalité présentée en conférence de presse à la veille de la Fête du travail. Le 30 avril dernier, Travail.Suisse a publié 28 revendications sur des thèmes très divers, dans le cadre d’un document de position sur l’égalité entre femmes et hommes, aujourd’hui et demain .
L’âge de la retraite des femmes ne compte pas pour des « peanuts »
C’est aussi une trentaine d’objectifs qui figure au menu de la campagne « #65nopeanuts – Egalité complète, pas de cacahuètes ». Sur le mode humoristique, le collectif formé d’économistes et de juristes au féminin se penche très sérieusement sur les dynamiques de l’égalité autour de six champs d’action et propose trente-quatre solutions. Toutes ces propositions doivent idéalement être mises en œuvre avant d’élever l’âge de la retraite des femmes.
Suite au refus par le peuple du « paquet Berset » Prévoyance 2020, il est toujours question de rehausser l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans dans les débats et les travaux actuellement en cours et visant à assurer l’avenir financier de l’AVS. C’est d’ailleurs ce relèvement de l’âge de la retraite des femmes qui explique en majeure partie l’échec de la votation populaire le 24 septembre dernier. Travail.Suisse ne s’est pas opposée à un âge égalitaire de la retraite, mais à certaines conditions. Les centaines de millions engrangés en plus grâce à cette mesure doivent être compensés par sur d’autres fronts pour favoriser l’égalité entre femmes et hommes dans les faits (meilleures conditions faites aux personnes travaillant à temps partiel au niveau de la prévoyance professionnelle, flexibilité de la retraite anticipée pour les catégories défavorisées de la population, conditions-cadres pour permettre de concilier activité professionnelle et vie familiale, etc.).
Le collectif #65nopeanuts ne dit pas autre chose. Si les femmes doivent partir à la retraite à 65 ans, cela ne doit pas compter pour des cacahuètes. Ce collectif appelle à une large coalition pour une égalité complète et chacun-e peut s’y joindre en s’inscrivant dans la liste des soutiens à leur action .
Appel à une nouvelle grève des femmes en 2019
Enfin, c’est à une grève nationale des femmes le 14 juin 2019 qu’invite une mobilisation nationale. Des collectifs cantonaux sont en cours de formation pour préparer un remake de la grande grève du 14 juin 1991 qui a réuni un demi-million de femmes. Cette décision a été prise à l’occasion des assises féministes romandes le 2 juin dernier. Cette grève devrait être plus que symbolique, comme l’était celle de 1991 avec ses foulards fuschia, la grève du zèle dans les familles ou les cortèges. La grève qui se prépare sera organisée au niveau du travail et dans la sphère privée.
Si toutes les femmes y seront conviées, il n’y a aucun doute que des hommes y participeront aussi. Ne serait-ce que pour réclamer aussi leur part d’égalité, notamment l’introduction d’un congé paternité payé de 20 jours, comme le demande l’initiative « Pour un congé paternité raisonnable – en faveur de toute la famille ». Car comme l’écrivait récemment le Conseiller national radical-libéral Philippe Nantermod dans une chronique dans le journal Le Temps, « l’égalité n’est pas un truc de femmes » ni « une marotte de la gauche ».
Notre pays vit actuellement un véritable « momentum » de l’égalité, qui devrait déployer ses effets aux prochaines élections nationales en 2019. Travail.Suisse y contribue activement.
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_1 https://metoomvmt.org/
2BFEG et SECO, « Risque et ampleur du harcèlement sexuel sur le lieu de travail », Berne 2008.
3 https://www.ebg.admin.ch/ebg/fr/home/documentation/publications/publica…
4 https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Arbeit/Personenfreizugigkeit_Arb…
5 http://www.travailsuisse.ch/actuel/positions
6 www.65nopeanuts.ch
7 https://www.65nopeanuts.ch/rejoignez-nous_