Après le rejet l’an passé de la prévoyance vieillesse 2020, une nouvelle ronde se dessine : alors qu’un nouveau projet pour l’AVS avance vite, dans le 2ème pilier, il revient d’abord aux partenaires sociaux d’élaborer des propositions de réforme. Avant de discuter de mesures concrètes, il vaut la peine de se pencher sur le mal actuel qui ronge la prévoyance professionnelle et les raisons de la grande méfiance du peuple envers les caisses de pension.
Après 2009 on a échoué une nouvelle fois avec la Prévoyance vieillesse 2020 à réformer politiquement le 2ème pilier –malgré le fait qu’hormis la baisse du taux de conversion minimal, il y avait aussi des améliorations qui étaient prévues, comme une assurance un peu meilleure des personnes travaillant à temps partiel.
Insécurité et grandes différences
De nombreux travailleurs et travailleuses sont très insécurisés. Ils ont vu, au cours des dernières années, comment leur caisse de pension s’est retrouvée sous pression du fait de la forte baisse des taux de conversion des caisses de pension dites « enveloppantes ». Des taux de conversion s’approchant de 5 pourcent ne sont plus rares, que ce soit dans le privé (par ex. CP de Roche, CP de Tamedia, du Credit Suisse), le public (par ex. BVK, Publica, Bassellandschaftliche PK) et dans des caisses de pension proches de la Confédération (par ex. CP de Ruag, de la Poste, des CFF). Le travailleur ou la travailleuses qui a de la poisse, parce que son employeur n’injecte pas d’argent, voit sa rente fortement diminuée juste avant la retraite. Parallèlement, il faut payer le plus souvent des cotisations plus élevées.
Un autre problème tient au fait que les prestations des caisses de pension divergent de plus en plus : certaines caisses continuent à offrir des taux de conversion raisonnablement élevés alors que les taux diminuent massivement parmi d’autres. Les unes rémunèrent, lors de bonnes années pour les placements, l’argent des travailleurs et des travailleuses avec 2 à 4 pourcent d’intérêts pendant que beaucoup d’autres caisses – en particulier les assureurs-vie – avec seulement le taux d’intérêt minimal de 1 pourcent. Certaines caisses atteignent un rendement de 7 pourcent avec de bas coûts d’administration pendant que d’autres paient pour le même rendement des coûts quatre fois plus élevés. C’est donc souvent une question de chance pour le travailleur et la travailleuse d’atterrir avec son employeur dans telle ou telle institution de prévoyance.
Les différences de prestations ont beaucoup à faire avec les différentes structures d’âge des caisses de pension : toutes veulent les jeunes assurés et personne les plus âgés. C’est ainsi que les fondations collectives peuvent offrir de meilleures conditions et prestations avec des assurés plus jeunes que celles avec des assurés plus âgés et les sociétés d’assurance escomptent aussi faire plus de bénéfices avec des assurés jeunes. Le thème de la sélection des risques ne concerne donc pas seulement le domaine des assureurs-maladie.
Les caisses de pension vivent de la solidarité
L’opinion domine à l’échelle du pays que dans le 2ème pilier chacun n’épargne que pour lui-même. Il s’agit là d’une conclusion erronée, la prévoyance professionnelle vivant de différentes solidarités. Dans une caisse de pension, on fait partie d’une communauté de risques et on profite de la manière dont l’argent est placé. Il y a entre autres la solidarité entre les travailleurs/euses et les employeurs, les actifs et les retraité-e-s ou la solidarité entre les actifs de diverses catégories d’âge et de classes de revenus. S’il n’y avait pas ces solidarités, on pourrait supprimer la prévoyance professionnelle et reporter l’argent vers le 1er et le 3ème pilier. Mais à l’heure actuelle, les assurés ne jugent pas fiables ces solidarités car souvent spécifiques aux caisses et donc affaire de chance. C’est pourquoi la solidarité dépassant la caisse de pension devient toujours plus importante. Il faut aussi des institutions centrales fortes si l’on veut que la solidarité soit perçue positivement aussi dans le 2ème pilier. Elles pourront apporter de la fiabilité et de la confiance. Il faut garantir au-delà de la caisse de pension individuelle que l’on ne désavantage pas systématiquement certaines cohortes. Il existe déjà de telles institutions avec les fondations Fonds de garantie et de la caisse supplétive LPP mais qui n’ont encore qu’une faible importance. De nouvelles propositions, comme par exemple un adoucissement systématique et à long terme par le Fonds de garantie d’une trop forte baisse du taux de conversion est à l’étude.1 On pourrait ainsi renforcer la solidarité entre les différentes caisses de pension et aussi entre les catégories d’âge représentées de manière très différente. Mais aujourd’hui, l’évolution est malheureusement inverse : le 2ème pilier est toujours plus individualisé, la pression pour des plans d’économie individuels augmente et les institutions de prévoyance veulent reporter si possible tous les risques sur les assurés. Cela hypothèque le futur et mine le sens de la prévoyance professionnelle.
Pour atteindre le but des prestations, il faut une rémunération des intérêts décente pour tous
La Constitution fédérale prescrit que le 1er et le 2ème pilier doivent permettre d’atteindre un niveau de vie approprié. On parle aussi de but de prestation. On part en général du fait qu’avec le 1er et le 2ème pilier on assure une rente égale à au moins 60 pourcent du denier salaire.2 Pour véritablement atteindre le but de la Constitution, il faut un paramètre de prestations qui les garantisse. La rémunération des intérêts du capital vieillesse joue un rôle déterminant sur ce point. Si les intérêts sont trop bas au cours des années, il ne sera pas possible d’atteindre le but de prestation. Le taux d’intérêt minimal, qui est fixé par le Conseil fédéral sur recommandation de la commission LPP, devrait justement le garantir. Au cours des dernières années, le taux d’intérêt minimal a baissé continuellement, malgré les bons rendements procurés par les actions et l’immobilier. La raison : le taux d’intérêt minimal n’a pas suffisamment été orienté sur les placements réels des caisses de pension, mais en grande partie sur des obligations d’Etat dont les rendements sont quasiment nuls. Un taux d’intérêt minimal trop bas a comme conséquence que la rémunération des intérêts, et donc l’atteinte de l’objectif de prestation conforme à la Constitution pour les assurés, est une affaire de chance. Le Conseil fédéral décidera en automne prochain s’il apporte des corrections en direction d’un meilleur taux d’intérêt minimal. Pour Travail.Suisse, il s’agit là d’une condition pour avoir confiance dans la prévoyance professionnelle.
Les assureurs-vie sont une partie du problème
La prévoyance professionnelle est déjà assez compliquée. A cela s’ajoute le fait qu’avec les assureurs-vie, il y a aussi des sociétés d’assurance privées qui agissent dans la prévoyance professionnelle. Ils font l’éloge de solutions pour les petites entreprises. Leur client est l’employeur et les employé-e-s ne les intéressent pas. C’est ainsi que les solutions pour les travailleurs et les travailleuses sont la plupart du temps mauvaises et chères. Il faut payer des primes élevées, la rémunération des intérêts est faible et l’on ne garantit le plus souvent que le minimum des prestations. En règle générale, les assureurs-vie n’accordent aux travailleurs et travailleuses que le taux d’intérêt minimal. Et si l’on est assuré au-delà de la partie obligatoire, donc là où les institutions de prévoyance sont libres, on est encore moins bien loti avec les assureurs-vie : selon la Finma, la rémunération des intérêts de la partie sur-obligatoire a été au cours des douze dernières années constamment plus mauvaise que le taux d’intérêt minimal.3 De plus, la loi et les ordonnances permettent aux sociétés d’assurance d’encaisser des primes surfaites et de soustraire dix pourcent du volume global des primes, malgré l’environnement d’un risque d’entreprise très prévisible. On ne s’étonne pas dès lors que Swiss Life et compagnie font avec le 2ème pilier, année après année, entre 600 et 700 millions de francs de bénéfices. Cet argent sort de l’assurance sociale et finit dans les poches des actionnaires et des managers.
La législation laxiste permet aux assureurs-vie d’obtenir des bénéfices garantis excessifs. Il faut que cela change dès lors qu’une nouvelle discussion politique a lieu sur le 2ème pilier. Les assurés ont besoin d’une protection légale pour la défense de leurs intérêts. C’est pourquoi, les possibilités de gains des assureurs-vie doivent être clairement réduites. La population considère à juste titre comme injuste la solution consistant en « des prestations plus basses pour les travailleurs et travailleuses et des bénéfices plus élevés pour les sociétés d’assurance. » Une marge de manœuvre légale encore plus forte et des taux d’intérêts minimaux encore plus bas, comme le demandent les assureurs-vie, ne sont en revanche pas soutenables. L’expérience a montré en effet que les assureurs exploiteraient cette marge de manœuvre d’abord pour eux et non pas pour les assurés.
Davantage d’assurance sociale au lieu d’insécurité sociale
Dans ce contexte de « se serrer encore plus la ceinture », des différences croissantes de prestations et de l’insécurité régnante sur les futures prestations, de nombreux acteurs sont actifs pour tirer profit de la prévoyance professionnelle. Hormis les assureurs-vie déjà mentionnés, il s’agit d’acteurs actifs dans la gestion de fortune, des conseillers et aussi des courtiers et des intermédiaires. A raison, de nombreux assurés ne font pas confiance à ces acteurs et ne voient pas pourquoi ils devraient se serrer davantage la ceinture mais pas les acteurs privés. Ce climat de défiance et d’insécurité se répercute négativement sur la sensibilisation que la population peut avoir pour une réforme. La réussite d’une prochaine réforme dépendra de la façon dont on lèvera l’insécurité et la défiance par le biais de mesures concrètes. Si l’on veut discuter sérieusement du 2ème pilier, il ne s’agit pas seulement de la question du taux de conversion minimal. Il en va aussi du but de prestation de la Constitution fédérale et donc des taux d’intérêts. Il en va aussi d’une meilleure solidarité et de la régulation des bénéfices dans une assurance sociale telle que l’est la prévoyance professionnelle. Il faut maintenant des mesures plus fortes contre le retrait des bénéfices de la prévoyance professionnelle, il faut octroyer un taux d’intérêt décent du capital-vieillesse pour tous les assurés et il faut davantage de solidarité allant au-delà des entreprises, respectivement des caisses.
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fn. 1 Modèle des experts des caisses de pension Oliver Deprez : pk-netz.ch/2018/03/23/leistungserhalt-durch-transparente-kompensation/
2 60 pourcent du maintien d’un niveau de vie approprié ne suffit de loin pas pour les bas revenus.
3 Finma. Rapport sur la transparence dans les comptes d’exploitation 2016. Graphiques 16 et 17, pages 27/28.