Ils sont nombreux en Suisse, ceux et celles qui sont tentés d’affirmer que les femmes et les hommes sont égaux, non seulement en droit, mais aussi dans les faits. C’est ce qui motive les critiques des activités autour de l’égalité ainsi que les attaques contre le financement des projets en faveur de l’égalité. Mais est-ce vraiment le cas ? L’enquête menée par le magazine anglais The Economist répond, hélas, par la négative. La Suisse est à la traîne en matière d’accès des femmes au marché du travail.
La loi sur l’égalité LEg prévoit depuis vingt ans une possibilité pour la Confédération d’encourager financièrement des projets en faveur de l’égalité dans le milieu professionnel (article 14). Grâce à ces aides ont pu naître www.informaternite.ch et www.mamagenda.ch. Le futur site destiné aux proches aidants qui travaillent www.info-workcare.ch annoncé pour cet automne en a aussi bénéficié. La LEg permet en outre à la Confédération d’octroyer des aides financières à des organisations privées prodiguant informations et conseils dans la vie professionnelle aux femmes, ou qui assistent femmes et hommes ayant interrompu leur activité lucrative pour se consacrer à des tâches familiales à se réinsérer professionnellement (article 15).
Début avril est tombée une décision du Département fédéral de l’intérieur DFI qui introduit un changement de paradigme en matière de soutien financier.
Aides financières de la LEG : un curieux cadeau d’anniversaire
Dès 2019, le département d’Alain Berset va supprimer les aides financières accordés depuis 1996 aux onze services de consultation existants, au motif que leurs prestations sont désormais prodiguées par les Offices régionaux de placement nés entre-temps ou les services cantonaux d’orientation professionnelle.
De plus, dès l’année prochaine, le DFI réoriente l’allocation des fonds pour les projets et programmes en faveur de l’égalité dans la vie professionnelle. La Confédération soutiendra des prestations et des produits selon deux axes : d’une part l’encouragement de la conciliation des vies professionnelle et familiale ou la réalisation de l’égalité salariale et d’autre part l’encouragement de l’égalité entre effectifs féminins et masculins dans des professions et des branches souffrant de pénurie de main d’œuvre qualifiée, en particulier dans les branches de l’informatique, des sciences naturelles ou de la technique. Seront privilégiés des projets qui modifient les conditions de travail, à l’instar des modèles de temps de travail flexibles ou des systèmes salariaux équitables.
Cette double décision est un changement de paradigme : seuls les projets destinés aux entreprises pourront espérer recevoir une aide financière s’ils s’inscrivent dans les axes définis. Les prestations et produits destinés directement aux personnes concernées sont abandonnés. Travail.Suisse constate que jusqu’à présent, les entreprises ne se sont pas montrées pressées de réaliser concrètement l’égalité en leur sein. Très peu d’entre elles ont demandé une aide financière pour un projet ou un programme interne en faveur de l’égalité. Pour mémoire, très peu ont aussi participé au Dialogue sur l’égalité des salaires qui visait, dans le partenariat social, à éliminer la discrimination salariale par l’autocontrôle interne des salaires 1 . Le DFI mise pourtant tout sur les entreprises. Pour ses vingt ans d’entrée en vigueur en juillet prochain, la LEG reçoit un curieux cadeau d’anniversaire.
Des services indispensables et uniques
La décision du Département fédéral de l’intérieur est tombée début avril. Elle n’a nécessité aucune consultation. Elle se base sur des analyses juridiques portant sur la répartition des compétences entre Confédération, cantons et communes. Ce qui est choquant, c’est que la réalité sur le terrain est bien différente, comme Travail.Suisse l’a souligné dans son étude sur le retour à la vie active.
Travail.Suisse a démontré en 2013 2 que les prestations offertes par les services de consultation sont uniques et indispensables, et même qu’ils manquent d’argent malgré la manne fédérale, face à la demande constante. Certains en arrivent même à travailler gratuitement. Des femmes surtout ont besoin de ces services, en particulier celles qui ne disposent pas d’une formation très poussée et ont peu de moyens financiers. Surtout, les services de consultation ne sont pas des doublons, contrairement à ce qu’affirment les analyses juridiques. Les femmes ne s’adressent pas aux ORP, car elles savent qu’elles n’y trouveront aucune écoute attentive et spécialisée quant à leur problématique particulière, comme l’a démontré une étude de l’OFS 3 . Elles n’ont pas non plus les moyens de payer des consultations de réorientation professionnelle au prix fort.
Les cantons doivent donc prendre le relais au niveau financier, comme le leur prescrit la Constitution fédérale (art. 8 al. 3 phrase 2) et, du point de vue du droit international, la Convention de I’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ratifiée par la suisse. Le Tribunal fédéral l’a rappelé dans un jugement du 21 novembre 2011 : les cantons ont l’obligation de prendre des mesures appropriées pour encourager l’égalité dans les faits. A l’heure des restrictions budgétaires tous azimuts, ce nouveau report de charge de la Confédération sur les cantons ne va pas faciliter la tâche des services de consultation qui vont devoir convaincre leurs autorités cantonales respectives de la nécessité de maintenir leur offre.
La discrimination salariale s’est aggravée
Tous les deux ans, l’analyse de la discrimination salariale basée sur l’Enquête suisse sur la structure des salaires de l’OFS vient rappeler que l’égalité entre femmes et hommes au plan professionnel n’est pas atteinte dans les faits. La discrimination salariale a passé, dans le secteur privé, de 37,63% de toutes les inégalités salariales observées en 2010 à 41% en 2012. Dès l’entrée sur le marché du travail, les jeunes femmes gagnent en moyenne 7% de moins que leurs collègues masculins, toutes choses étant égales par ailleurs 4 . Ce sont 280 francs par mois de moins dans leur porte-monnaie, une somme qui va petit à petit grossir. Au final, plus de 7 milliards de francs chaque année ne sont pas payés aux femmes actives en Suisse de manière totalement injustifiée.
Accès des femmes au marché du travail : la Suisse en fin du classement
Tout dernièrement, le magazine The Economist a publié les résultats de son « index du plafond de verre » (Glass ceiling index 5 ). Cet index a été créé à l’occasion du 8 mars, journée internationale de la femme de l’ONU. Il mesure l’accès des femmes au marché du travail au moyen de neuf critères (fossé dans la formation supérieure, participation des femmes au marché du travail, différence salariale, part des femmes managers, femmes au sein des organes de direction des entreprises, coûts de la garde des enfants, congé maternité payé, proportion de femmes diplômées en études supérieures de business, proportion de femmes élues au niveau national).
En 2016, un dixième critère a été ajouté : l’existence d’un congé paternité payé. La Suisse conserve sa quatrième place en fin de classement, devant la Turquie, le Japon et la Corée du Nord ! Son score diminue en une année de 41,7 à 40,6 sur un maximum de 100. Les meilleures places du classement sont trustées par les pays nordiques : Islande, Norvège, Suède et Finlande. La moyenne des pays de l’OCDE se place à un score de 56.
Le lancement annoncé – par une association d’organisations familiales, de femmes, d’hommes et de travailleurs et travailleuses, dont Travail.Suisse – d’une initiative populaire en faveur de la création d’un congé paternité payé de 20 jours (bien modeste au regard de ce qui se pratique chez nos voisins) est une première réponse au problème multifacettes de l’inégalité, même s’il n’est pas le seul à pouvoir le résoudre.
Il est nécessaire d’investir encore
Assurément, la décision du DFI de supprimer les subsides aux services de consultation et de réorienter les aides financières pour les projets d’égalité dans la vie professionnelle fait suite à des pressions politiques, dans un contexte où l’égalité est devenue un thème qui lasse, à défaut de ne plus fâcher. La composition du parlement issu des urnes à l’automne 2015 y est sans aucun doute pour quelque chose, pour preuve cette tentative de biffer la moitié du budget des aides accordées par le BFEG l’hiver dernier. Certes, l’égalité est garantie dans le droit, mais beaucoup ont de la peine à comprendre qu’elle n’est toujours pas atteinte dans les faits et qu’il est par conséquent toujours nécessaire d’investir dans des projets et des prestations destinés aux personnes concernées, en plus de continuer sans relâche la sensibilisation et l’information aux entreprises.
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p(footnote). 1 « Fin du projet « Dialogue sur l’égalité des salaires » : Les contrôles automatiques de la parité salariale sont incontournables ». Communiqué de Travail.Suisse du 9 décembre 2013.
2 Travail.Suisse – Réussir son retour à la vie active. Champs d’action et mesures possibles dans le domaine de la formation et de l’intégration des personnes souhaitant réintégrer le marché du travail. Berne, 2013.
3 Actualités OFS – Femmes et chômage: des écarts persistants avec le taux de chômage des hommes. Neuchâtel, août 2012.
4 Projet Belodis du PNR60 consacré à l’égalité.
5http://www.economist.com/news/business/21598669-bestand-worstplaces-be-working-woman-glass-ceiling-index