Travail.Suisse, l’organisation faîtière des travailleurs et des travailleuses, est favorable à la mise en place de moyens pour renforcer l’intégration des réfugiés reconnus et des personnes au bénéfice d’une admission provisoire. Le Conseil fédéral prévoit un projet pilote pour l’intégration de ce groupe de personnes, mais ses propositions restent encore faibles. Le 29 avril, Travail.Suisse présentera une résolution à ce sujet, lors de son assemblée des délégué-e-s.
Hélène Agbémégnah, Responsable politique de migration et questions juridiques Travail.Suisse
Dans le cadre de la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse, le Conseil fédéral a annoncé sa volonté de miser sur le potentiel de main-d’œuvre indigène. Son objectif est de combler en partie le manque de main-d’œuvre sur le marché du travail et de limiter le recrutement de personnes migrantes en dehors de la Suisse. Parmi les mesures destinées à atteindre cet objectif, le Conseil fédéral a prévu un projet pilote destiné à renforcer les mesures d’intégration en faveur des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire. Ce projet pilote propose deux axes d’intervention : un apprentissage linguistique précoce pour les personnes en procédure d’asile et un préapprentissage d’intégration pour faciliter l’accès à une formation professionnelle ou au marché du travail pour les réfugiés reconnus et les personnes admises à titre provisoire. La mise en œuvre de ce programme est prévue pour 2018, mais en attendant ses propositions restent faibles au vu de la politique actuelle et de la réalité du marché du travail.
Lever les obstacles juridiques est plus que nécessaire
Bien que la plupart des personnes admises à titre provisoire et réfugiées reconnues vivent en Suisse depuis de nombres années, leur statut juridique reste précaire et entraîne des obstacles administratifs pour accéder au marché du travail. À cet effet, Travail.Suisse recommande de mettre le plus rapidement possible un terme à la taxe spéciale de 10% sur le salaire que doivent payer les admis provisoires et de supprimer également les procédures pour l’obtention d’une autorisation de travailler. Il serait toutefois aussi possible d’octroyer plus facilement une autorisation de séjour aux personnes admises provisoirement, en sachant qu’elles résident depuis de nombreuses années en Suisse. Travail.Suisse rappelle que le renforcement du statut juridique des personnes migrantes est nécessaire, afin de leur garantir une stabilité sociale et émotionnelle favorables à leur intégration.
Préserver les salaires et les conditions de travail, mais pas seulement
Les défis sont nombreux et se situent à plusieurs niveaux. Tout d’abord, la réalité du marché du travail est rude, surtout pour les personnes admises provisoirement. La seule évocation du terme « provisoire » n’incite pas les employeurs à vouloir les recruter et, s’ils le sont, c’est le plus souvent à des conditions salariales précaires et avec un contrat de courte durée. Une forte sensibilisation des employeurs est nécessaire, mais elle est rendue plus difficile au vu de l’incertitude actuelle du marché du travail suite aux négociations engagées avec l’Union européenne pour la préservation des accords sur la libre circulation des personnes (ALCP). Ensuite, la concurrence sur le marché du travail joue également un rôle, dans la mesure où le nombre de postes dans les emplois peu qualifiés diminue. La préférence est souvent donnée à des ressortissants européens. Il est dès lors nécessaire d’engager des efforts politiques plus intenses pour éviter la discrimination relative au statut et pour permettre à la fois aux ressortissants suisses, européens et des pays tiers d’y trouver leur compte.
Par ailleurs, les mesures d’insertion sur le marché du travail doivent également prendre en considération les traumatismes et les problèmes de santé des réfugiés et des admis provisoires qui freinent leur processus d’intégration. Il est nécessaire de garantir à ces personnes un soutien social et un suivi psychologique avant de les inciter à introduire le marché du travail.
L’actuelle politique d’intégration manque de cohérence
La politique actuelle en matière de migration est devenue schizophrène dans la mesure où elle promeut d’une part une meilleure intégration et d’autre part, institue des obstacles juridiques allant à son encontre. Cette situation se reflète également dans la volonté d’insérer plus facilement sur le marché du travail les personnes admises provisoirement et les réfugiés reconnus en prenant parallèlement des mesures pour réaliser des économies sur l’aide sociale. Or, ces mesures sont souvent de nature coercitive et vont à l’encontre d’un processus d’intégration. La volonté politique de faciliter la révocation des autorisations de séjour et d’établissement en cas de dépendance à l’aide sociale pose aussi un obstacle à l’intégration. Les personnes admises provisoirement qui souhaiteraient obtenir une autorisation de séjour seraient aussi concernées.
Pour terminer, le projet pilote destiné à renforcer l’intégration des réfugiés et des admis provisoires prendra seulement effet en 2018. À ce moment, le faible nombre de personnes qui seront prises en charge ne représente qu’une faible proportion du nombre total de réfugiés et d’admis provisoires vivant en Suisse. Il serait illusoire de penser, même si des mesures sont nécessaires, que la force de travail des personnes issues de l’asile puisse combler le manque de main-d’œuvre provoqué par la mise en application de l’initiative contre l’immigration de masse. Se pose dès lors la question de l’adéquation des ressources financières avec les mesures envisagées. Au vu de la situation, les efforts qui veulent être mis en place ne pourront être efficaces que si la volonté politique d’intégrer est plus forte et suit une ligne cohérente.