La bonne nouvelle est que toujours plus d’entreprises instaurent un congé paternité. Et la mauvaise que seules (ou presque) de grandes entreprises octroient un congé paternité payé digne de ce nom. La plupart des nouveaux papas doivent se contenter du minimum d’un à deux jours de congé – souvent, ce temps correspond tout juste à celui requis pour l’accouchement. Il faut donc un coup de pouce législatif et une solution qui passe par les allocations pour perte de gain, afin que tous les pères de Suisse puissent assumer leurs responsabilités dès le début.
La loi accorde à la paternité la même considération qu’à un déménagement : Dans le cadre des « jours de congé usuels » selon le Code des obligations (art. 329, al. 3), le futur père a droit à un jour de congé après l’accouchement. En revanche, l’on attend à raison des pères d’aujourd’hui qu’ils participent davantage à la vie familiale. De toute façon, la plupart des pères souhaitent assumer leurs responsabilités dès le début. Pourtant, ils ne le pourront que s’ils en ont le temps matériel. L’on renvoie souvent à la liberté des partenaires sociaux de prendre des dispositions d’une plus grande portée. L’on rappelle volontiers que dans les faits, les pères bénéficient d’un congé plus généreux que celui prévu par la loi. Après avoir analysé, ces dernières années, les conditions existantes chez les employeurs publics, Travail.Suisse s’est penché cette année sur la situation réelle du congé paternité dans l’économie privée. A cette fin, l’organisation faîtière indépendante des travailleurs a soumis les principales conventions collectives de travail (CCT) de différentes branches à un examen minutieux.
La majorité applique le minimum légal
Le résultat est décevant. En effet, il demeure exceptionnel qu’un employeur octroie à ses employés un congé paternité digne de ce nom. Notre analyse montre que les deux tiers des CCT examinées n’attribuent aux nouveaux pères qu’un ou deux jours de congé paternité. Plus de la moitié des travailleurs ayant fait l’objet de l’analyse sont même assujettis à une CCT qui n’accorde qu’un seul jour de congé. Il est révélateur qu’avec cinq jours de congé déjà, l’on appartienne aux meilleures conventions de branche (voir fiche d’information). Ainsi par exemple l’industrie MEM, les banques, l’horlogerie et la microtechnique. Les branches absolument défavorables aux pères sont justement celles où les futurs papas devraient être très nombreux, comme le secteur principal de la construction. L’hôtellerie-restauration ou la location de services aussi disposent de CCT importantes, qui n’octroient pas davantage que le minimum absolu.
Seules les grandes attribuent un congé paternité
Il existe certes des exemples louables d’entreprises qui ont reconnu les signes des temps. A l’exception de quelques PME novatrices (par ex. Mobility), ces exemples sont restreints à quelques grandes entreprises. Parmi celles-ci, certaines accordent 10 à 15 jours de congé paternité sur une base volontaire. Elles sont plus nombreuses à octroyer cinq jours. Ces résultats sont comparables avec ceux des patrons dans la fonction publique, que Travail.Suisse avait recueillis l’année dernière (voir fiche d’information). Ainsi l’écart ne se creuse-t-il pas entre les patrons du privé et du public, mais plutôt entre les grandes et les petites entreprises. Ce n’est pas un hasard : Les grandes entreprises peuvent se permettre d’être plus généreuses. Pourtant, cette différence entre grandes et petites entreprises n’est ni équitable, ni adaptée à son époque. Il n’est pas possible que le congé paternité dépende de l’entreprise où travaille le papa.
Il faut un coup de pouce de la loi et une solution des assurances sociales
Travail.Suisse demande un congé paternité légal payé de 20 jours ouvrables. Afin que les conditions soient les mêmes pour tous, il faut une solution des assurances sociales, solidaire et portée par tous. Depuis longtemps, Travail.Suisse propose une solution qui passe par les allocations pour perte de gain (AGP). Comme pour le congé maternité, le taux de compensation salariale doit être de 80 pour cent. Les prestations doivent pouvoir être perçues sous forme de jours isolés, lorsque le besoin s’en fait sentir. Tout comme l’AVS, les APG sont financées par le biais de cotisations prélevées sur le salaire, et donc de façon solidaire par les patrons et les travailleurs. Les coûts occasionnés aux entreprises sont modérés et dépendent du nombre de pères que compte le personnel. Ainsi les mêmes possibilités seraient-elles offertes à tous les pères, mais aussi à toutes les entreprises. Grâce à la solution des APG, le congé paternité s’ouvrirait aux PME et à leurs employés.
Un petit pas pour les APG, un grand pas pour les pères
Le régime des APG a fait ses preuves. Et il est abordable. Un congé paternité de 20 jours ouvrables, tel que le demande Travail.Suisse, coûterait env. 380 mios de francs selon le Conseil fédéral. Cela correspond à une cotisation salariale d’env. 0.1 pour cent. Ce montant serait divisé entre les travailleurs et les patrons (moitié-moitié). Les perspectives financières des APG sont bonnes : En 2014, elles enregistraient un excédent de 170 mios de francs. A en croire un rapport du Conseil fédéral , ces excédents se monteront d’ici à 2035 à plus de 550 mois de francs. Par conséquent, à moyen terme, le congé paternité pourrait être financé par ces excédents, et sans augmentation des cotisations. Les scénarios de l’APG reflètent l’évolution constatée pour les jours de service militaire, qui sont en recul. Puisque les APG sont moins sollicitées pour les militaires en service, le congé paternité serait déjà en grande partie financé (voir feuille annexe). La bonne situation des APG pourrait avoir contribué à l’acceptation par la Commission sociale du Conseil national de l’initiative parlementaire Candinas (2 semaines de congé paternité payé par le régime des APG).
Un investissement valable
Aujourd’hui, nous avons l’opportunité d’instaurer une prestation familiale d’avenir pratiquement sans ressources supplémentaires. Il faut saisir cette opportunité car son utilité pour la société est de plusieurs ordres : pères et mères peuvent assumer la responsabilité ensemble, construire une relation avec le nouveau-né et s’occuper des frères et sœurs s’il y en a. Lorsque les pères s’investissent dès la naissance de l’enfant, les relations familiales n’en sont que plus solides ultérieurement. Si les mamans sont aidées par leur compagnon, elles sont plus promptes à réintégrer le monde du travail après la période consacrée à leur bébé. Par conséquent, le congé paternité constitue un élément important d’une politique familiale adaptée à son temps. A une époque où la population vieillit et où la main-d’œuvre qualifiée manque, il est essentiel pour la politique économique et sociale que les conditions cadres soient bonnes pour les familles. Sinon, le prix à payer sera beaucoup plus élevé que les investissements requis pour un congé paternité : des femmes au bénéfice d’une bonne formation qui arrêtent de travailler dès qu’elles ont des enfants, ou renoncent à enfanter. Ces deux options ne sont pas souhaitables dans une société vieillissante.
L’opposition véhémente au congé paternité exprimée par l’Union patronale, qui à tout bout de champ s’inquiète de la démographie et prétend miser sur les mères sur le marché de travail, est donc incompréhensible et dépasse l’entendement.
Quelle suite politique ?
La Commission sociale du Conseil national s’est prononcée voici un mois pour la première fois en faveur d’un congé paternité de deux semaines. Après des années de travail de persuasion, cela bouge au Parlement. Pour les représentant-e-s des jeunes générations surtout, le congé paternité est indispensable. Bien que la durée de deux semaines proposée soit extrêmement modeste, Travail.Suisse apporte son appui à ce premier pas concret. L’approche APG est la bonne. A la fin de l’été, cette commission du Conseil national se prononcera à ce sujet. Avec la plus grande détermination, Travail.Suisse mettra tout en œuvre afin de lever cet obstacle aussi. Nous attendons du PDC, parti de la famille, qu’il permette à cette démarche d’aboutir grâce à un soutien de ses propres rangs, même si ses représentants au Conseil d’Etat n’appartiennent plus à la jeune garde.
Parce que nos enfants le valent bien
Dans le fond, il s’agit d’une décision de principe : Quiconque, dans ces circonstances, lutte contre un congé paternité à coups d’arguments financiers ou relevant de l’organisation du travail, soit n’est pas tout à fait honnête, soit a une vision à beaucoup trop court terme. Car il n’est pas question de savoir si nous avons les moyens de payer un congé paternité, mais plutôt si nous attachons de l’importance à un bon départ dans la vie de famille, si nous avons de l’estime pour les pères, et si nous jugeons que le soutien mutuel dans le couple revêt de l’importance. Dans le fond, l’introduction d’un congé paternité légal n’est pas une question d’argent, mais de volonté politique. Pour Travail.Suisse, la nécessité d’un congé paternité n’a jamais été aussi marquée.
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www.dutempspourlespapas.ch
A l’occasion de la Fête des pères du 7 juin en Suisse, Travail.Suisse a lancé la plateforme www.dutempspourlespapas.ch, en collaboration avec d’autres organisations. Des papas et autres membres de la famille y affirment – photo et déclaration à l’appui – la nécessité d’un congé paternité payé et inscrit dans la loi fédérale.
Le Communiqué