Le Parlement a approuvé en automne 2012 le principe du paiement du temps passé à allaiter, par ailleurs reconnu comme temps de travail par la loi. Il s’agit maintenant de trouver une solution claire et sans équivoque pour répondre à cette volonté non contestée. La question de la durée des pauses d’allaitement est au cœur des travaux préparatoires et on pourrait s’inspirer de la pratique de nos voisins, Italie, Allemagne ou Autriche. Deux heures de pauses d’allaitement payées par jour mais uniquement pour l’allaitement qui se déroule en entreprise, telle pourrait être la solution qui permettrait à la Suisse de se mettre en conformité avec la convention de l’OIT sur la protection de la maternité qu’elle entend ratifier.
Le paiement du temps d’allaitement quand une femme travaille était le seul obstacle qui subsistait encore à la ratification de la Convention de l’OIT C 183 sur la protection de la maternité signée par la Suisse. La seule explication qui a permis jusqu’ici à certains employeurs indélicats de déduire ce temps de la fiche de salaire est une lacune juridique de l’OLT1 qui ne précise pas que ce temps de travail doit être rétribué. Par défaut, la question a donc été réglée par le Code des obligations.
Certains, comme le Centre Patronal ou l’Union suisse des arts et métiers, se sont basés sur cette seule lacune juridique pour continuer de refuser le paiement des pauses d’allaitement, et il semble qu’ils continuent de le faire malgré la volonté claire du Parlement. Cette attitude illustre au mieux la faiblesse de l’argumentation, au pire un conservatisme borné au service d’une certaine mesquinerie. Ce dernier non-sens devrait être levé prochainement, un projet de modification de l’ordonnance étant à l’étude.
Les voisins européens pourraient inspirer la Suisse
Les médias se sont fait l’écho de ce que met en consultation l’administration, via le Secrétariat d’Etat à l’économie. Selon ces échos, durant la première année de vie de l’enfant, sa mère devrait pouvoir disposer d’une heure trente de pauses d’allaitement payée par son employeur. Telle est en tout cas la pratique en Allemagne, en Autriche ou au Luxembourg, pour une journée de travail qui dépasse 8 heures. Si telle devait être la solution retenue, il est intéressant de noter que ce n’est pas la solution la plus favorable qui existe parmi nos voisins. Ainsi l’Italie se montre bien plus généreuse en accordant deux heures de temps d’allaitement payées lorsqu’une femme travaille plus de 6 heures par jour, ou d’une heure si elle travaille moins que cela. Quant aux Pays-Bas, les femmes ont l’entière liberté d’allaiter leur enfant jusqu’à ses neuf mois aussi souvent qu’elles le souhaitent et jusqu’à concurrence du quart du temps passé à travailler.
Pour Travail.Suisse, la solution italienne de deux heures par jour est la bonne et correspond à ce que les médecins du travail considèrent comme acceptable en la matière.
En Suisse, et c’est un cas à part au sein de l’Europe, les femmes ayant des enfants travaillent en grande majorité à temps partiel. Pour Travail.Suisse, il est primordial que le modèle retenu ne pénalise pas les femmes qui travaillent à temps partiel et leur permette aussi d’allaiter sur le lieu de travail, tout comme de pomper leur lait, ce qui équivaut à de l’allaitement selon les recommandations édictées par le SECO. On pourrait facilement imaginer une durée progressive des pauses d’allaitement payées selon la durée de travail quotidienne, comme le prévoit l’Italie.
Enfin, le droit actuel prévoit une distinction entre l’allaitement qui se passe sur le lieu de travail (considéré à 100% comme temps de travail) et celui qui se passe hors entreprise (considéré à 50% seulement comme temps de travail). La convention sur la protection de la maternité n’opère pas cette distinction et prévoit une rémunération intégrale des pauses d’allaitement, tout en autorisant les Etats à limiter ces pauses. Nul ne sait ce qu’il adviendra de cette particularité du droit suisse. Pour Travail.Suisse, elle pourrait disparaître si une réglementation claire et non discriminante sur la rétribution et la durée du temps passé à allaiter est adoptée.
Liberté de choix comme principe
En matière d’allaitement qui se poursuit après la reprise du travail, il est important de favoriser le choix des femmes, quel qu’il soit. Ainsi, vouloir allaiter son enfant tout en travaillant doit être un droit reconnu à chacune, quelle que soit la durée et la fréquence des pauses d’allaitement et aussi longtemps que le souhaite chaque mère. Ce principe de base doit absolument figurer dans la nouvelle mouture de l’article 60 de l’ordonnance OLT1.
Si on veut aussi favoriser l’allaitement sur plusieurs mois, il est évident que le temps passé à allaiter quand on travaille soit rétribué, ou au minimum que l’on fixe une durée minimale généreuse donnant droit à la rémunération. Or, la pratique des fédérations de Travail.Suisse permet d’affirmer qu’à la moindre tension au travail – le non-paiement du temps consacré à l’allaitement en est une – les femmes sèvrent leur enfant plus vite qu’elles ne le souhaiteraient. Malgré les recommandations de l’Organisation mondiale sur la santé, de l’Office fédéral de la santé publique et du corps médical. Le système adopté a donc intérêt à être généreux. Car pour les salaires les plus bas, ceux qui caractérisent le plus souvent l’emploi féminin, ne pas être payée durant le temps consacré à l’allaitement n’est tout simplement pas envisageable.
Enjeux financiers – un exemple parlant !
L’enjeu financier est minime pour les employeurs, parce que le temps consacré à allaiter ou à pomper son lait sur le lieu de travail est peu important en termes de quantité comme en durée. Après trois mois et demi (la durée minimale du congé maternité fédéral), un nourrisson n’est plus allaité aussi souvent qu’après la naissance. Les femmes sont en outre nombreuses à combiner allaitement maternel et biberons de lait en poudre. Enfin, très souvent, les mères sèvrent leur enfant après six mois de vie, au moment de la diversification de l’alimentation.
A ceux qui brandissent l’épouvantail traditionnel des coûts supplémentaires intenables à la charge des entreprises, on peut répondre ceci : le seul cas de jurisprudence connu à ce jour a révélé que la somme litigieuse se montait à quelques six cents francs seulement.
Par contre, les entreprises pourront compter sur un « retour sur investissement » bien plus important, par exemple en termes d’absences de l’employé ou de l’employée parce que l’enfant est malade, comme la loi le permet avec trois jours d’absence payés aux parents par cas de maladie. Car il est reconnu qu’un enfant allaité plusieurs mois durant est par la suite moins souvent malade et développera moins d’allergies. Les employées qui peuvent réussir un allaitement sans chicanerie sont aussi bien plus motivées, ce qui a des répercussions positives en termes de productivité.
Tout plaide en faveur de dispositions généreuses en matière de rétribution des pauses d’allaitement. Espérons que la Commission sur le travail et le Conseil fédéral sauront faire preuve de bon sens.