Une ruée vers les bonus, qui dure depuis plus d’une décennie au sein du monde feutré des étages supérieurs, a détruit la confiance de la population dans l’économie et ses organisations. Le oui à l’initiative sur les rémunérations abusives l’a clairement montré. Plusieurs campagnes de votation relatives à la libre circulation des personnes vont être agendées. Les accords bilatéraux et le modèle suisse de réussite sont à disposition. La politique est sollicitée et c’est uniquement si elle réussit à réinstaller la confiance et répartir plus équitablement les fruits de la croissance que la libre circulation des personnes et les accords bilatéraux vont aussi passer l’obstacle des votations à venir.
Travail.Suisse analyse depuis quelques années l’évolution des salaires des managers. Dans le meilleur des cas, le bilan s’avère mitigé. Les évolutions négatives l’emportent de beaucoup car, comme auparavant, elles concernent la plus grande partie des entreprises qui ont été prises sous la loupe. La nécessité d’une action politique reste donc d’actualité.
Une perte croissante de confiance dans l’économie
Ceci d’autant plus que l’évolution des salaires des managers a suscité une vive réaction parmi la population, réaction qui ne s’est pas arrêtée à ces salaires. Aujourd’hui, un fort septicisme envers les problèmes liés à l’économie règne en Suisse. La crédibilité des milieux économiques et de leurs organisations en a souffert et le oui catégorique à l’initiative sur les rémunérations abusives l’a clairement révélé. L’indignation suscitée par les rémunérations abusives a contribué à ce que l’économie s’est aliéné la population.
Cette situation a donc une importance primordiale étant donné que plusieurs campagnes de votation sur la libre circulation des personnes – et donc sur les accords bilatéraux – nous attendent. Dans ce contexte, le manque de crédibilité accordée à l’économie et le fait que celle-ci s’est aliéné la population pourraient devenir un véritable problème pour la Suisse. Un problème qui dépasse grandement la question des salaires des managers et qui ne peut être surmonté que si la politique trouve des réponses efficaces.
Stabilisation au sommet – tendance ininterrompue dans le gros du peloton
L’analyse menée cette année par Travail.Suisse relative à l’évolution des salaires des managers montre que le laissez-faire ne peut être une option. Certes, on observe une certaine stabilisation au sommet, les salaires se stabilisent donc, tout en restant à un niveau outrageusement élevé. Cette situation concerne par exemple les banques et la branche pharmaceutique ainsi que Nestlé.
Mais, pour les « viennent ensuite », la tendance est ininterrompue. Dans des entreprises comme Lonza, Clariant ou Kuoni, les salaires aux étages supérieurs ont également démesurément augmenté l’an passé. Une comparaison sur la durée, établie depuis 2002, montre que dans ces mêmes entreprises et quelques autres comme Georg Fischer ou Oerlikon les salaires les plus élevés, et donc l’écart salarial, ont doublé voire presque triplé, alors que les prestations de ces entreprises sur le plan économique ont été plutôt modestes et n’ont pas suivi le rythme de l’envolée des hauts salaires. Dans une seule entreprise – Coop – la moyenne des rémunérations des membres de la direction du groupe n’a pas dépassé le salaire annuel de la collaboratrice la moins bien payée.
Une telle tendance parmi les « viennent ensuite » met clairement en évidence le fait que les mentalités n’ont pas évolué et qu’on ne peut s’attendre à une correction à la baisse. Les excès débridés continuent de s’étendre et une autorégulation n’est pas à attendre, initiative sur les rémunérations abusives ou pas. Plus que jamais les politiques sont appelés à mettre des limites à ces excès, car le fait que les salaires continuent d’augmenter sans vergogne, alors que la pression est de plus en plus forte sur les bas salaires, est inacceptable et nuisible pour la Suisse.
Mise en demeure urgente des politiques
Depuis des années, nous demandons aux politiques de contrer l’envolée des salaires des managers et d’entreprendre quelque chose pour rétablir la confiance entre la population et l’économie. Peu de choses ont été entreprises jusqu’à présent et ce qui a été fait ne l’a été que sous une forte pression.
Entre-temps, les salaires n’ont pas été seuls à augmenter : l’indignation a aussi grandi, à laquelle s’est ajouté – comme déjà souligné – le fait que l’économie s’est aliéné de plus en plus la population. Au vu des importantes votations qui s’annoncent concernant la libre circulation des personnes, l’urgence d’agir s’impose aux politiques. On n’a plus le temps d’attendre que la situation s’améliore dans les étages directoriaux, la politique doit donc endosser un rôle-clé et proposer des réponses crédibles, non seulement à la question des salaires des managers, mais aussi à celle de la répartition de la richesse, à savoir :
- Limiter les salaires des managers et mettre fin au cartel des salaires : en ce qui concerne les salaires des managers, une limitation matérielle s’impose et entraîne un oui à l’initiative 1:12. Nous continuons en outre de demander le vote obligatoire des actionnaires, sur le salaire de chaque membre de la direction et du conseil d’administration d’un groupe. Mais pour que le pouvoir des travailleurs et travailleuses, comme celui des actionnaires, soit renforcé le personnel doit être bien représenté au sein du conseil d’administration, ce qui permettra de faire sauter le cartel des salaires des managers et de renforcer l’orientation des entreprises sur le long terme.
- Protéger les salaires et les conditions de travail : la mise en confiance nécessite non seulement un frein aux salaires des managers, mais aussi la protection des salaires et des conditions de travail des « simples » travailleurs et travailleuses. Par conséquent, les politiques doivent garantir des salaires minimaux par région et par branche et donner aux partenaires sociaux de nouveaux outils leur permettant d’imposer ces salaires minimaux. De plus, les attaques réitérées contre les horaires de travail – mot-clé : travail de nuit et travail du dimanche – sont contre-productives puisqu’il s’agit de rallier la population aux préoccupations de l’économie.
- Mettre fin à une politique fiscale au service des revenus élevés et des bénéfices des entreprises : la politique fiscale appliquée par les cantons profite avant tout aux managers qui ont des revenus élevés et aux entreprises qui versent de tels salaires. En parallèle, de nombreux cantons doivent faire des économies et, lorsque l’argent manque pour les transports publics, l’entretien des routes, les services de santé, la formation, les garderies etc., ce sont avant tout la classe moyenne et les personnes à bas revenus qui en subissent les conséquences. Cette situation creuse encore plus le fossé entre la population et l’économie. Le moment est venu de miser aussi dans le domaine de la politique fiscale sur plus d’égalité à la place de plus d’inégalité.
Travail.Suisse réclame donc des mesures visant une Suisse prospère, au sein de laquelle toutes et tous bénéficient de sa prospérité croissante, une Suisse où l’économie rime avec plus d’égalité et non avec plus d’inégalité. L’endiguement des salaires excessifs des managers n’est certes qu’un élément de cette démarche, mais il est incontournable.