Parce que la Suisse n’a plus le choix – elle doit supprimer les régimes fiscaux cantonaux privilégiés – un non à la RIEIII obligera le Parlement à présenter rapidement un nouveau projet correctement contre-financé par l’économie. Il n’y a donc rien à craindre pour les emplois en disant non.
Il est juste de vouloir supprimer les régimes fiscaux cantonaux privilégiés pour les holding et les sociétés d’administration étrangères, devenus incompatibles avec les standards fiscaux internationaux, car ils sont contraires à l’égalité fiscale. Mais malheureusement les élites politico-économiques en ont profité pour baisser massivement les impôts des entreprises sans que cela soit nécessaire. D’où des pertes fiscales de 1,3 milliards de francs pour la Confédération et de plusieurs milliards de francs pour les cantons, surtout du fait de la baisse de leurs taux d’imposition des entreprises. Prévue pour entrer en vigueur en 2019, la réforme a déjà provoqué une recrudescence de la concurrence fiscale entre cantons. Alors que le taux d’imposition moyen des entreprises en Suisse a déjà baissé entre 2005 et 2014 de plus de 4 points de pourcentage passant de 22 à 18 , on se dirige maintenant vers moins de 16 suite aux mesures décidées ou prévues par la plupart des cantons (par exemple Vaud de 22,8% à 13,8%, GE de 24,2% à 13,5%, BS de 22,2% à 13%, SH de 16% à 12%, FR de 19,9% à 13,7% etc.).
Un chèque en blanc
A ces lourdes pertes fiscales s’en ajoutent d’autres d’’ampleur inconnue, la réforme prévoyant pour les cantons des instruments facultatifs : adaptation des impôts cantonaux sur le capital, déductions massives pour les revenus tirés de brevet (90%), déductions pour les frais de recherche et de développement (jusqu’à 150%, bien plus que les dépenses réelles !), impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts. Le Parlement a certes fixé une limite aux divers allégements. Mais elle est extrêmement basse, le cumul des allégements ne devant pas dépasser 80% du bénéfice net imposable avant leur déduction. Ainsi, en exploitant à fond les outils de la boîte fiscale, les entreprises ne paieront plus 100% mais 20% de l’impôt cantonal et communal. Cela est choquant au vu de l’égalité fiscale avec le contribuable. Il en résulte le fait que les citoyens et citoyennes devront se prononcer sur un projet dont on ignore largement l’ampleur des pertes fiscales. Dire oui c’est donc accepter un chèque en blanc ou un chèque qui ne serait pas complètement provisionné.
Ce qui est par contre sûr c’est que les pertes en milliards de francs seront payées par la population par des hausses d’impôts ou des baisses de prestations, le Parlement ayant renoncé à toute mesure de contre-financement par l’économie. Cela est profondément injuste vu que les infrastructures des collectivités publiques profitent évidemment aussi aux entreprises et qu’elles leur sont même indispensables pour développer leurs activités. De nombreux cantons ayant déjà des problèmes financiers, il va sans dire que la réforme aggravera les programmes d’économie en cours ou sera à l’origine de nouvelles coupes de prestations.
Les partisans de la RIE III font croire qu’un non à la réforme provoquera le départ de bon nombre de sociétés privilégiées avec la perte correspondante d’emplois et de recettes fiscales et veulent donc intimider les citoyens et citoyennes pour qu’ils n’osent pas dire non. Or, cette argumentation ne résiste pas aux faits : primo, comme les cantons sont en train de baisser fortement leurs taux d’imposition, le risque que les sociétés en question partent à l’étranger est très faible et le faible nombre de partants potentiels ira en premier lieu vers les cantons aux taux d’imposition les plus bas. Secundo, l’implantation d’entreprises étrangères dépend d’un ensemble de facteurs – pas seulement la fiscalité – et la Suisse est à cet égard l’un des meilleurs sites d’implantation au monde grâce à ses très bonnes infrastructures, son excellent système de formation, sa main-d’œuvre qualifiée, son marché du travail flexible, sa forte capacité d’innovation, son administration efficace etc. Tertio, c’est si on dit oui à la RIE III que le risque de pertes d’emplois est le plus grande : car les lourdes pertes fiscales en cas de oui réduiront les prestations de service public, ce qui impliquera des suppressions de poste ou au mieux un gel des embauches avec le risque d’une pression supplémentaire sur les conditions de travail. L’alarmisme des partisans de la réforme en cas de non au sujet des pertes fiscales et des pertes d’emploi n’est donc pas crédible. Il faut espérer que les citoyens et citoyennes s’en rendront compte et ne se laisseront pas gagner par la peur.
En outre, comme un non du peuple à la réforme ne sera pas un non à la suppression des régimes fiscaux cantonaux – leur abrogation n’est plus guère contestée – mais un non aux lourdes pertes fiscales, le Parlement devra présenter rapidement un nouveau projet s’il ne veut pas infliger un grave préjudice à la place financière et économique. Les mesures pour contre-financer adéquatement la réforme par l’économie sont d’ailleurs connues. Le Parlement pourra ainsi décider s’il veut imposer les gains en capitaux (le projet de consultation du Conseil fédéral le prévoyait), renoncer à l’impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts sur le capital propre ou encore augmenter légèrement le taux fédéral d’imposition des bénéfices des entreprises (ce qui serait justifié et supportable du fait que les baisses en cours de réalisation des taux d’imposition cantonaux vont clairement au-delà de ce que le Conseil fédéral avait pronostiqué). Un refus de la réforme devrait aussi entraîner le retrait du projet séparé de l’élimination du droit de timbre d’émission sur le capital propre car il occasionne de très lourdes pertes fiscales.
Un non de la population à la troisième réforme de l’imposition des entreprises représente en fin de compte une chance : un projet plus équilibré et plus juste réduira le fossé malsain qui s’est creusé entre l’économie et la population en raison de l’écart croissant entre les rémunérations abusives pour les managers des grandes sociétés et l’évolution des salaires en général. Ce serait tout bénéfice pour la cohésion nationale et sociale et donc aussi pour l’économie qui n’évolue pas dans un monde distinct.