L’égalité des couples mariés et des concubins dans l’impôt fédéral direct n’est acceptable que si elle n’entraîne pas de pertes fiscales. Un contre-financement, tel que le propose le Conseil fédéral en augmentant la TVA, doit absolument être rejeté car cela signifierait faire payer aux revenus modestes l’ardoise d’un milliard de francs accordée aux couples mariés aisés !
Il subsiste, dans l’impôt fédéral direct, une inégalité de traitement entre concubins et couples mariés à deux revenus dont le revenu global est élevé. De nombreux rentiers mariés à revenu moyen ou élevé connaissent aussi par rapport aux concubins une imposition plus forte. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral cela est contraire à la Constitution. Le Tribunal fédéral base sa jurisprudence sur les rapports complexes entre les charges fiscales entre différents modèles familiaux.
Sous le titre de mesures immédiates entrées en vigueur en janvier 2008, l’inégalité fiscale entre couples mariés et concubins à été éliminée pour 160’000 couples mariés à deux revenus (66% des coupes concernés). Quelque 80’000 couples mariés à deux revenus (plus de 100’000 francs par an) sont encore soumis à une charge fiscale inégalitaire par rapport aux concubins. Le but de ce projet vise en premier lieu cette catégorie de contribuables mais aussi un certain nombre de rentiers mariés traités moins favorablement que des rentiers concubins.
Au vu de cette situation, même si, pour Travail.Suisse, il n’y a aucune urgence, il est difficile de se prononcer fondamentalement contre un projet de réforme visant à mettre fin à une inégalité constitutionnelle. C’est pourquoi la position de Travail.Suisse est d’accepter une réforme de l’imposition mais seulement si elle n’entraîne pas de pertes fiscales et ne reporte pas les charges sur les revenus bas et moyens.
Le modèle choisi « Barème multiple avec calcul alternatif de l’impôt » pour les couples mariés est retenu par le Conseil fédéral car il entraînerait une diminution des recettes moindre que d’autres modèles d’imposition. Mais cela provoque tout de même des pertes d’un milliard de francs par an !
Un tel coût est aussi dû au fait que dès lors que l’on touche à la répartition des charges fiscales entre catégories (ici entre couples mariés à deux revenus et concubins à deux revenus), on modifie cette répartition par rapport à d’autres contribuables, les couples mariés à un revenu. C’est ainsi que le projet prévoit une déduction pour couples mariés à un revenu pour éviter des inégalités fiscales nouvelles qui seraient aussi contraires à la Constitution fédérale.
Un projet équivalent à des cadeaux fiscaux pour couples aisés
Le problème fondamental est que ce projet, quel que soit son but initial, équivaut à un projet de cadeaux fiscaux pour couples aisés. Ce sont des contribuables dont le revenu est compris entre 100’000 et 500’000 francs qui bénéficient d’allégements de près de 800 millions de francs, en premier lieu des couples mariés à deux revenus. L’allégement pour les contribuables dont le revenu est compris entre 50’000 et 100’000 francs se monte à près de 135 millions en comparaison, en premier lieu des rentiers mariés qui ne sont pas dans le besoin, contrairement par exemple à de jeunes familles.
Plus les revenus augmentent, plus les réductions sont importantes : au point que, par exemple, pour un couple à 2 revenus sans enfants avec un revenu net de 200’000 francs (chacun à 50%), la réduction d’impôt est de 4’500 francs. Pour les très hauts revenus – avoisinant les 500’000 francs – la réduction est d’environ 10’000 francs.
Il faut partir du fait que le dégrèvement excessif en faveur des concubins à deux revenus est l’une des causes de l’inégalité fiscale vis-à-vis des couples mariés. Pour éliminer cette discrimination, il ne s’agit donc pas d’aligner la fiscalité des couples mariés à deux revenus sur celle des concubins mais bien de procéder de façon inverse en augmentant la fiscalité des concubins afin que leur imposition soit identique à celle des couples mariés. D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, la charge d’un couple marié à deux revenus doit être aussi importante que celle d’un couple de concubins à deux revenus. Certes, le projet augmente quelque peu la charge des concubins. Mais elle est beaucoup plus modeste que les baisses fiscales accordées pour les couples mariés aisés avec ou sans enfants : les hausses maximales sont d’environ 1’500 francs pour les plus gros revenus. Si l’on veut que la réforme soit neutre fiscalement, il faut donc augmenter davantage la charge des concubins et ne réduire que marginalement celle des couples mariés à deux revenus.
Pour Travail.Suisse, la réforme n’est acceptable que si elle est financièrement neutre. Il est hors de question de supporter une pareille diminution des recettes de l’impôt fédéral direct. De plus, cela se répercutera aussi négativement sur les cantons étant donné que leur part au produit de l’impôt fédéral direct est de 17%. C’est pourquoi, les barèmes doivent être réaménagés entre concubins et couples mariés à deux revenus de façon à ce que cela n’entraîne pas de pertes fiscales.
Contre-financement : les contribuables modestes passent à la caisse !
Certes, le Conseil fédéral prévoit un contre-financement. Mais les mesures prévues sont inacceptables. Primo, il est prévu des réductions de dépenses. Or, il est dommageable de prévoir des réductions de dépenses qui pourraient toucher par exemple la formation ou d’autres domaines importants et, dans le même temps, décharger les couples mariés et rentiers aisés. Côté recettes, la hausse envisagée de la taxe sur la valeur ajoutée – et qui nécessite en plus une modification de la Constitution fédérale – équivaut à faire payer une partie de la réforme aux revenus modestes étant donné le caractère peu social de la TVA. L’abandon temporaire de la compensation des effets de la progression à froid pour l’impôt fédéral direct – pénalisera certes plutôt les classes aisées mais il n’est que temporaire et ne déploiera ses effets que progressivement.
Pas de marge de manœuvre pour baisser les impôts
De façon plus générale, Travail.Suisse combat tout projet ayant comme conséquence des pertes fiscales. Même si la situation financière de la Suisse est bonne, elle peut se détériorer tant les incertitudes économiques sont grandes, en lien avec la crise de l’Euro et l’évolution de la conjoncture mondiale. De plus, le différend fiscal avec l’UE va contraindre tôt ou tard notre pays à modifier les régimes fiscaux discriminatoires d’un certain nombre de cantons. Cela ne se fera pas sans pertes fiscales. Enfin, avec le vieillissement de la population, le tournant du nucléaire vers les énergies propres et la nécessité de développer fortement les transports publics, notre pays se trouve au devant d’investissements considérables, indispensables pour garantir la prospérité à l’avenir. Dans ce contexte, il serait très malvenu de priver les pouvoirs publics des moyens nécessaires pour réaliser les investissements-clés du futur dont dépend la prospérité à terme de la Suisse.
Travail.Suisse se prononcera plus en détail dans le cadre de la consultation qui vient d’être ouverte. Mais la ligne générale est claire : c’est non à un projet qui, sous le couvert de l’égalité fiscale, fait des cadeaux fiscaux aux couples aisés. Seul un projet n’ayant pas d’incidences négatives sur les bas et moyens revenus et neutre du point de vue fiscal pourra avoir notre aval.