La révision de la loi sur les étrangers renforce les moyens pour l’intégration, ce qui est positif. Par contre, les nouvelles exigences qui lient l’intégration au droit de séjourner doivent être rejetées : car elles accroissent les inégalités entre ressortissants de l’UE et étrangers des Etat tiers et qu’elles traduisent plus un esprit de sanction que d’encouragement.
La loi fédérale sur les étrangers devient la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration. Il faut donc saluer, au moins sur le plan symbolique, ce changement de titre qui reconnaît davantage l’importance de l’intégration. On a certes renoncé à une loi-cadre sur l’intégration mais d’autres lois, comme celle sur la formation professionnelle, l’aménagement du territoire et sur certaines assurances sociales tiendront davantage compte de l’intégration. On reconnaît ainsi une volonté de faire plus pour l’intégration tout en l’envisageant davantage comme une politique concernant toute la société et pas seulement les étrangers, ce qui est positif.
Cette reconnaissance accrue de l’intégration a comme corollaire un accroissement de la contribution de la Confédération d’environ 20 millions de francs pour l’intégration, ce qui est réjouissant. Mais faut-il encore que les cantons augmentent leurs ressources dans une proportion similaire.
Pour juger des propositions de la révision, Travail.Suisse se base sur les quatre principes fondamentaux suivants :
1. Le système binaire d’admission (libre-circulation pour ressortissants UE/AELE, contingentement pour ressortissants d’Etats tiers) est soutenu. Mais pour tous ceux qui vivent et travaillent en Suisse, il faut éviter le plus possible toute inégalité de traitement.
2. Un statut de séjour sûr avec des droits (certes assortis de conditions) encourage l’intégration.
3. Le pendant de l’intégration est la non-discrimination et cela doit être inscrit dans la loi.
4. L’intégration est un processus qui engage les immigrés mais aussi les institutions et la population suisse
Or, le projet de révision ne satisfait pas ou peu à ces principes, hormis le dernier. Pire, il renforce les différences de traitement déjà existantes entre étrangers admis à séjourner en Suisse. Ainsi, il est prévu de faire dépendre la prolongation de l’autorisation de séjour d’une « bonne intégration ». Vu que la prolongation de l’autorisation de séjour a déjà lieu après une année, peut-on exiger une bonne intégration dans un laps de temps aussi court ? Il est permis d’en douter. Il existe pourtant déjà la possibilité dans la loi de révoquer des autorisations si l’étranger atteint à la sécurité et l’ordre public ou si lui ou une personne dont il a la charge dépend de l’aide sociale. Cela doit suffire comme motif pour ne pas prolonger une autorisation de séjour.
Quant au regroupement familial, le conjoint étranger devra désormais être apte à communiquer dans une langue nationale ou s’inscrire à un cours de langue pour avoir droit à l’octroi d’une autori-sation de séjour. Cela s’applique aussi aux conjoints étrangers de Suisses ! En revanche, ces mesures ne peuvent pas s’appliquer aux personnes bénéficiant de la libre-circulation. La révision aggrave donc l’inégalité de traitement entre étrangers de l’UE et d’Etats tiers mais aussi vis-à-vis des Suisses eux-mêmes ! Est-il sensé qu’on oblige le conjoint étranger d’un Suisse à suivre des cours de langue pour avoir droit à son autorisation de séjour ? Cela est vraiment exagéré !
Il faut aussi s’interroger sur la capacité de vérifier la « bonne intégration » de façon uniforme. L’évaluation de la « bonne intégration » prend en compte le respect de la sécurité et de l’ordre publics, le respect des principes fondamentaux de la Constitution, l’aptitude à communiquer dans une langue nationale, la volonté de participer à la vie économique ou d’acquérir une formation.
L’étude1 sur le fédéralisme de la Commission fédérale pour les questions de migration (CFM) a déjà mis en évidence les grandes différences entre les cantons dans la mise en œuvre de la politique migratoire. La révision risque d’augmenter encore ces différences et donc l’arbitraire dans les décisions d’accorder ou de prolonger des autorisations de séjour ou d’accorder l’autorisation d’établissement. L’incertitude qui augmente sur les droits aux autorisations va à l’encontre de l’encouragement à l’intégration.
Conventions d’intégration : seulement sur une base volontaire et non pas pour sanctionner
Un autre élément qui renforce l’inégalité de traitement est le poids plus important que l’on veut donner aux conventions d’intégration, lesquelles ne peuvent pas être rendues obligatoires pour des ressortissants de l’UE. Pour cette raison, mais aussi parce qu’elles peuvent être utilisées comme moyen de sanction (par exemple révocation d’une autorisation), Travail.Suisse les rejette. En revanche, si les conventions d’intégration sont mises en place sur une base volontaire ouvertes à tous les étrangers et que leur but est non pas de sanctionner mais d’inciter à combler des déficits d’intégration, nous pouvons les accepter. Les conventions d’intégration traduisent aussi une vision différente de l’intégration entre la Suisse alémanique et la Suisse romande. En effet, plusieurs cantons alémaniques utilisent déjà les conventions d’intégration alors qu’aucun canton de Suisse romande n’en fait usage.
Absente jusqu’ici du chapitre sur l’intégration de la loi sur les étrangers, la protection contre la discrimination figure enfin dans l’article sur les principes. Cela dénote un début de sensibilisation sur cette question, la non-discrimination étant étroitement liée à l’intégration. On attend maintenant que le Conseil fédéral fasse un pas supplémentaire en prévoyant aussi une législation contre la discrimination ethnique. C’est justement cette absence de protection légale qui est soulignée comme le principal point faible de la politique d’intégration de la Suisse – avec une politique de naturalisation trop restrictive – par les rapports ou études de l’étranger.
La loi crée une obligation pour les employeurs
Vu le rôle central que jouent les employeurs pour l’intégration, nous saluons l’article qui prévoit que les employeurs doivent contribuer à l’intégration des employés et des membres de leur famille venus en Suisse au titre du regroupement familial.
Cet article étant très général, Travail.Suisse attend de voir comment il sera concrétisé et met à disposition son know-how issu de l’étude réalisée sur mandat par le Forum Suisse pour l’étude des migrations2.
Nous demandons aussi la reprise d’un article que le Conseil fédéral avait inscrit dans le projet de Loi sur les étrangers succédant à l’ancienne loi sur le séjour et l’établissement des étrangers. Cet article prévoyait que les employeurs qui obtiennent des autorisations pour du personnel d’Etats tiers soient tenus de créer des places de formation. Malheureusement, cet article n’avait pas été accepté par le Conseil national (le Conseil des Etats l’avait accepté). La reprise de cet article s’impose aujourd’hui dans un contexte de vieillissement démographique et de pénurie de personnel dans certaines branches et professions. Pour maintenir sa prospérité à l’avenir et donc un taux de population active suffisant, la Suisse ne pourra pas seulement compter sur la migration mais devra aussi favoriser la relève professionnelle en Suisse même. Dans cette perspective, un tel article serait bienvenu.
1Les marges de manœuvre au sein du fédéralisme : la politique de migration dans les cantons. CFM, 126 p. décembre 2011
2Integration am Arbeitsplatz in der Schweiz. Probleme und Massnahmen. Ergebnisse einer Aktionsforschung. Forum suisse pour l’étude des migrations. Forschungbericht 32 / 2004, 250p. (écrit en partie en allemand et en partie en français)