Le droit à un temps réservé et payé lors de la naissance d’un enfant n’est pas reconnu aux pères travaillant en Suisse. Pourtant, très nombreux sont les hommes qui prennent quelques jours pris sur leurs vacances ou leurs heures supplémentaires. Cela n’est pas sans conséquence sur leur état de fatigue et de santé. La Conseillère nationale Yvonne Gilli s’en est émue et a déposé un postulat au Parlement lors de la dernière session.
« Il est évident que les pères sont de plus en plus nombreux à assumer également une part des responsabilités inhérentes à la vie de la famille. Cette nouvelle répartition des rôles correspond à une évolution de la société où les pères et les mères ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. » Tels sont les mots utilisés par l’élue saint-galloise Yvonne Gilli, docteure en médecine, dans son interpellation du Conseil fédéral de juin dernier.
Le temps réservé – et donc payé – aux parents lors de la naissance ou de l’adoption d’un enfant est un problème récurrent dans la politique fédérale. Les nouveaux venus sous la coupole font des propositions pour régler la situation, comme Marco Romano (PDC TI)1 ou Valérie Piller Carrard (PS FR)2. C’est au tour de l’élue verte Yvonne Gilli de s’inquiéter des effets sur la santé des congés que se « bricolent » les pères lors de la naissance de leur enfant.
La situation actuelle est source d’inégalité entre la mère – qui bénéficie depuis 2005 d’un congé maternité payé de 14 semaines – et le père – qui n’a le droit de prendre qu’un seul jour. Cet unique jour, le nouveau père en bénéficie au titre de « jour de congé usuel » tel que le définit le Code des obligations (art. 323 al.3) : c’est un temps libre exceptionnel que les employé-s sont obligés de prendre pour régler des affaires personnelles. Etre présent auprès de sa famille et assumer ses responsabilités lors d’une naissance n’est pas mieux considéré qu’un déménagement ou une visite chez le dentiste.
Un bricolage contraire à la loi et néfaste pour la santé
Les pères, dont les employeurs n’offrent aucune solution à titre privé, se concoctent alors leur congé paternité. Comment ? En économisant leurs jours de vacances en prévision de la naissance ou en accumulant les heures supplémentaires pour pouvoir les compenser à ce moment-là. Cela n’est pas sans effet sur la santé et… c’est contraire à la loi ! En effet, la loi définit les vacances comme du temps sans travail qui sert à se reposer. Se reposer est devenu de plus en plus important en raison de l’augmentation de la pression à la place de travail et du rythme de plus en plus soutenu pour réaliser les tâches. Utiliser ses vacances pour la naissance d’un enfant est un mauvais calcul, car la venue d’un enfant n’est pas une période qui permet le repos, bien au contraire. La venue d’un enfant implique un chamboulement durable dans l’organisation de la famille, les journées et les nuits sont bien remplies.
On constate par ailleurs que pour réduire les coûts de la santé, la durée d’hospitalisation des parturientes est toujours plus courte. Après l’accouchement, la mère est rapidement de retour à la maison et lorsque le couple a déjà un ou plusieurs enfants, la présence du père est alors indispensable afin qu’il puisse assurer le bon fonctionnement du ménage, la garde des autres enfants et les soins à prodiguer à son épouse et à son nouveau-né. Est-il utile de le rappeler : de nos jours, le recours à des tiers de la famille est de moins en moins possible, soit parce que les grands-parents travaillent, soit parce que les membres d’une même famille sont trop éloignés les uns des autres.
C’est pourquoi les hommes qui s’arrangent un « temps de père » à la naissance de leur enfant mettent en péril leur santé : ils sont déjà fatigués lorsque l’heureux événement survient – car ils ont volontairement reporté leur repos ou accumulé une fatigue supplémentaire, et ils retournent au travail encore plus fatigués après ces quelques jours riches en émotion et en fatigue – car ils n’auront pas pu récupérer. Cette fatigue accumulée conduit sans aucun doute possible à une baisse de productivité et peut même être dangereuse pour le travailleur.
Investir 180 millions pour préserver la santé des pères
On ne peut plus prétendre, comme l’a fait la génération précédente qui a bénéficié de conditions de travail et de situation familiale considérablement différentes de celles d’aujourd’hui, qu’avoir des enfants est une affaire qui ne relève que de la sphère privée et que l’Etat n’a pas à s’en soucier. Instaurer un temps réservé et payé pour les pères à la naissance coûterait, selon les estimations de Travail.Suisse, environ 180 millions par année3, des millions investis pour la famille, pour préserver la santé des salariés et pour mettre un terme à une inégalité entre femmes et hommes.
Le nouveau père n’a certes pas à récupérer des conséquences physiques d’un accouchement. Il doit par contre faire face à un surplus de tâches de soins, de garde et d’assistance lorsque paraît son enfant source de fatigue, sans même parler des chamboulements émotionnels. Pourquoi devrait-il hypothéquer sa santé pour pouvoir assumer son rôle de père ? Il n’y a pas que les entreprises qui ont besoin de conditions-cadres optimales, les familles aussi en ont besoin.
1Voir le Service médias du 19 mars 2012
2Voir Service médias du 4 juin 2012
3Pour un congé de 20 jours payés à hauteur de 80% du salaire, comme les allocations de maternité. Voir le Service médias du 4 juin 2012 pour les détails de l’estimation.