Il faut réviser sans attendre la Loi sur l’égalité
L’égalité entre femmes et hommes est un droit fondamental. Pour l’atteindre, une seule solution s’impose : l’égalité s’acquiert en accordant à toutes et tous les mêmes droits, avantages et prestations. Plusieurs éléments manquent dans la loi sur l’égalité entre femmes et hommes LEG, à commencer par l’obligation d’analyser l’égalité salariale non limitée dans le temps et le manque de possibilités de contrôle et de sanctions. Le Parlement est appelé à remettre l’ouvrage sur le métier et à réviser la loi de manière complète et ambitieuse.
L’exemple du nouvel âge ordinaire de la retraite relevé d’une année pour les femmes par AVS21 illustre cette tendance de nivellement par le bas au prétexte d’atteindre l’égalité dans le droit entre femmes et hommes. Sur le papier, c’est l’égalité parfaite. Dans les faits, il manque toujours les mesures indispensables pour permettre à chacune et chacun de choisir son modèle de vie en toute liberté et de ne pas subir un choix imposé par des circonstances défavorables, source d’autres inégalités. Les places d’accueil extrafamilial sont toujours insuffisantes, leurs coûts sont encore prohibitifs, les horaires scolaires sont toujours morcelés à l’extrême, la discrimination salariale n’a pas disparu, les branches occupées principalement par les femmes sont toujours trop peu payées, etc. Pire, le Parlement est en train de saboter le compromis des partenaires sociaux dans la prévoyance professionnelle, malgré les promesses faites aux femmes avant la votation sur AVS21. Cet exemple n’est malheureusement pas unique.
La récente votation sur AVS21 semble avoir donné des ailes au Conseil fédéral : la ministre des finances Karin Keller-Sutter a annoncé en février vouloir supprimer la rente de veuve. Oui, le système actuel des rentes en cas de décès du ou de la conjoint.e est inégalitaire en droit et il doit être réformé. Mais au lieu de prolonger les rentes des veufs, ou à la rigueur de prévoir une rente identique au moins jusqu’à la fin de la formation du dernier enfant (ou son 25ème anniversaire), le gouvernement veut seulement limiter la rente de veuve et ainsi économiser 100 millions par année.
La suppression de la « règle des 45 ans » par le Tribunal fédéral en cas de divorce est un autre exemple. La disparition de l’attribution automatique d’une rente de conjoint dès 45 ans peut être positive si elle peut éviter les départs de la vie active – le plus souvent des femmes. Mais ces départs sont souvent contraints, soit par l’employeur, soit par le manque de places de crèche abordables, et peuvent être évités par des mesures ciblées visant à encourager la réinsertion. Qu’en est-il de l’interdiction de discriminer selon l’âge ? Où sont les mesures spécifiques pour réinsérer les femmes sur le marché du travail après une absence plus ou moins de plusieurs années ? « Mettre la charrue avant les bœufs » semble être devenu la règle.
Stopper le nivellement par le bas sous prétexte d’égalité
Il faut dénoncer et stopper cette dérive. L’égalité est un combat qui mérite mieux que cette manipulation qui consiste à prétendre « égalitaires » des décisions relevant d’une égalité négative. En brandissant le prétexte de l’égalité en droit entre femmes et hommes sans tenir compte de la réalité et des faits, les autorités judiciaires et politiques opèrent un véritable nivellement par le bas, sans mettre en place auparavant les mesures qui pourront - en pratique, c’est-à-dire dans la vraie vie - éviter de nouvelles inégalités. C’est inacceptable et cela mérite qu’on se mobilise pour dire non à ces manipulations.
C’est pourquoi Travail.Suisse et ses fédérations membres soutiennent la grande manifestation féministe du 14 juin 2023 et y participera. Quatre ans - et une pandémie - après l’immense manifestation de 2019, d’innombrables collectifs locaux de femmes et de personnes de tous les genres se mobilisent à nouveau. Car les discriminations vécues sont toujours vives et l’égalité un vœu pieu. Or, la Constitution fédérale prescrit à son article 8 alinéa 3 une égalité entre femmes et hommes non seulement en droit, mais aussi dans les faits. On en est encore loin.
Dès juillet 2023, une liste noire pour faire respecter la loi
La dernière révision de la loi sur l’égalité entre femmes et hommes LEG a introduit l’obligation d’analyser les salaires sous l’angle de l’égalité depuis le 1er juillet 2020 pour les entreprises qui comptent 100 employé.e.s et plus. Toutefois, le législateur a refusé d’accompagner cette obligation d’un mécanisme de contrôle ou de sanctions en cas de non-respect, tout comme il a refusé que les entreprises transmettent le résultat de leur analyse à une autorité administrative fédérale. Pour contribuer à l’application de la loi, Travail.Suisse a lancé le site RESPECT8-3.CH. Depuis juillet 2020, le site permet aux entreprises qui ont accompli leur devoir d’analyse de s’inscrire sur une liste blanche. Celles qui ont été au-delà des exigences de la loi sont particulièrement mises en valeur.
D’ici fin juin de cette année, toutes les entreprises concernées doivent avoir réalisé cette analyse, l’avoir fait contrôler par un organisme indépendant et avoir informé le personnel ou leurs actionnaires du résultat. Ce qui veut dire qu’en juin prochain, Travail.Suisse va pouvoir compléter RESPECT8-3.CH avec l’ouverture d’une liste noire des entreprises qui n’auront pas rempli leurs obligations dans les temps impartis.
Une véritable révision de la loi sur l’égalité est nécessaire sans attendre
L’obligation de l’analyse de l’égalité salariale a une durée de vie limitée à 12 ans, car le Parlement a adopté une « sunset klausel ». Avant cela, le Conseil fédéral a indiqué attendre une évaluation de la situation dès 2025 (la loi exige une évaluation au plus tard en 2029). Si l’objectif du législateur est d’éliminer véritablement toutes les discriminations salariales, alors l’analyse de l’égalité salariale doit être en permanence dans le radar des directions d’entreprises et être conservée dans la loi.
Il est inutile d’attendre encore avant de remettre l’ouvrage sur le métier : la loi sur l’égalité entre femmes et hommes a déjà fait l’objet de deux évaluations, l’une en 2005 et l’autre en 2017. Plusieurs recommandations ont été formulées par les expert.e.s :
- La transparence des salaires y figure en premier, pour toutes les entreprises dès 50 employé.e.s. L’obligation de l’analyse de l’égalité salariale doit être définitivement ancrée dans la loi.
- Un contrôle de la mise en œuvre de la loi doit voir le jour, à l’instar de ce qui est prévu dans la loi sur le travail dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail (LTr art. 40 et ss). Ce contrôle pourrait être réalisé par les autorités cantonales, sous la haute autorité de la Confédération.
- L’allègement du fardeau de la preuve, qui existe pour toute victime de discrimination (article 6 LEG), ne s’applique pas pour les cas de harcèlement sexuel ou de discrimination à l’embauche. Chaque victime doit donc apporter des preuves et pas seulement rendre vraisemblable un harcèlement ou une discrimination à l’embauche. Cela dissuade beaucoup de personnes de porter plainte. L'allègement du fardeau de la preuve doit être étendu à ces cas. (1)
- Discriminer selon l’âge, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre n’est pas explicitement interdit par la LEG, au contraire du sexe, de l’état civil, la situation familiale ou de la grossesse (article 3 al. 1 LEG).
- La pénalité encourue par une entreprise reconnue coupable de discrimination est trop légère et non dissuasive (3 à 6 mois de salaire, article 5 al. 4 LEG).
Voilà quelques-unes des graves lacunes qui doivent être comblées par une révision de la LEG qui s’impose sans tarder. Le législateur a suffisamment attendu, il doit effectuer son travail correctement et jusqu’au bout, sans négliger aucun point. Les manifestant.e.s du 14 juin rappelleront aux membres du Parlement – certainement en nombre et avec beaucoup de bruit – la nécessité de rouvrir le chantier de l’égalité entre femmes et hommes.
Source:
(1): La motion 22.3095 de la vice-présidente de Travail.Suisse, Léonore Porchet, demande l’instauration d’une Ombudsstelle de l’égalité ayant des compétences d’investigation. La première évaluation de la LEG indiquait en 2005 déjà qu’il n’était pas normal que le poids de la responsabilité de la mise en œuvre de la loi ne repose que sur les épaules des seules victimes de discrimination.