Les votants n’ont pas été prêts à admettre des pertes de recettes fiscales d’un milliard de francs pour soulager les familles de manière peu ciblée. Voilà la conclusion à tirer de l’échec de l’initiative visant à exonérer de l’impôt les allocations familiales. Pourtant, cela ne signifie pas que le peuple soit opposé à un allègement fiscal pour les familles. Une augmentation des allocations familiales constitue une mesure tout à fait susceptible d’obtenir une majorité.
En 2006, le contre-projet à l’initiative de Travail.Suisse en faveur d’un relèvement des allocations familiales a été clairement accepté par le peuple. Depuis 2009, des montants minimums uniformes sont applicables dans toute la Suisse, à savoir 200 francs par mois pour les allocations pour enfant et 250 francs par mois pour les allocations de formation professionnelle. Le peuple reconnaît ainsi pleinement qu’il faut soulager les familles. Depuis lors, les coûts des enfants ont continué d’augmenter en Suisse. Les tout derniers chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique montrent que les coûts directs des enfants ont nettement augmenté depuis la décision prise en 2006: pour la période allant de 2000 à 2005, ils s’élevaient à 819 francs pour un couple avec un enfant. Ils sont déjà passés à 942 francs (+ 123 francs) pour la période allant de 2009 à 2011. Pour un couple avec deux enfants, les coûts directs des enfants s’élevaient à 1‘310 francs entre 2000 et 2005. Ils sont passés à 1‘507 francs entre 2009 et 2011 (+ 197 francs, soit + 98,5 francs par enfant). Pour trois enfants, les coûts directs des enfants sont passés de 1‘583 francs à 1‘821 francs (+ 238 francs ou +79 francs par enfant). Chez les personnes élevant seules leur(s) enfant(s), ils sont de toute façon très élevés, se situant à 1’201 francs pour un enfant.
Ces chiffres montrent clairement que les familles ne peuvent pas supporter seules ce fardeau. Il n’est donc pas étonnant que le fait d’avoir une famille aujourd’hui constitue le risque de pauvreté numéro un, ce que reconnaît bien le peuple aussi. Mais dans le contexte actuel qui oblige les cantons à se serrer davantage la ceinture, la voie qui passe par des allègements fiscaux n’est guère appréciée. En outre, le peuple veut des mesures ciblées.
Les allocations familiales, une mesure pragmatique et ciblée
En comparant les divers instruments de politique familiale visant à soulager les familles, on constate que les allocations familiales constituent une prestation ciblée susceptible d’atteindre divers objectifs:
a. Elles servent à lutter contre la pauvreté (p.ex. dans les familles nombreuses).
b. Elles contribuent également à permettre à toutes les familles d’avoir un niveau de vie aussi proche que possible de celui des ménages sans enfant.
c. Elles sont en outre un signe de reconnaissance sociale pour une tâche importante pour la société, celle d’élever des enfants.
Contrairement aux prestations complémentaires, les allocations pour enfant ne sont certes pas, pour les familles, des prestations liées aux besoins. Donc, même les familles aisées les reçoivent. Et justement parce que ces allocations sont soumises à un impôt progressif, comme les salaires, les familles aux faibles et moyens revenus bénéficient de prestations nettes plus élevées que les personnes qui gagnent bien leur vie. Certes, le résultat est un peu moins ciblé qu’avec les prestations complémentaires (PC) destinées aux familles et aidant exclusivement les bas revenus. Pour l’heure, le principe de PC destinées aux familles n’est pas encore susceptible de recueillir une majorité au niveau fédéral, parce que l’on craint une dégradation de l’incitation à travailler, si l’Etat se met à compenser le manque de recettes familiales. En revanche, les allocations pour enfant n’entraînent aucun changement sur l’activité lucrative, et c’est ce qui fait l’une de leurs forces. De plus, elles remplissent aussi les autres objectifs b) et c).
Du fait qu’elles sont ciblées, les allocations familiales sont également supérieures aux instruments fiscaux visant à soulager les familles: d’autres déductions du revenu imposable ont le même effet que l’initiative du PDC qui vient d’être balayée; les revenus élevés sont davantage soulagés que les bas et moyens revenus. Le bilan du côté des déductions par enfant du montant de l’impôt à payer est légèrement meilleur: toutes les familles bénéficient des mêmes allègements, pour autant toutefois qu’elles paient des impôts. Quiconque est exempté d’impôts en raison d’un revenu trop bas, ne bénéficie nullement des déductions du montant imposable.
Il est nécessaire de relever les allocations familiales
On peut donc en déduire que les allocations familiales, telles qu’elles existent actuellement, constituent une prestation pragmatique, ciblée et judicieuse – mais uniquement si elles soutiennent les familles grâce à des montants substantiels. Les montants minimums actuels de 200 et 250 francs ne sont plus adaptés aux coûts des enfants aujourd’hui. C’est pourquoi certains cantons ont fixé des montants nettement plus élevés. Partout en Suisse, avoir des enfants est un beau projet, mais si beau soit-il, il est coûteux. Aussi est-il indiqué de relever modérément les montants minimums des allocations familiales et d’harmoniser parallèlement les différentes pratiques cantonales. Une adaptation du montant minimum à 250 francs (allocations pour enfant) et à 300 francs (allocations de formation) est une démarche ciblée visant à mieux soutenir les familles aux revenus faibles et moyens. Le coût d’une telle adaptation des allocations est nettement inférieur – 600 millions de francs – à celui de l’initiative populaire rejetée, qui visait à exonérer les allocations pour enfant et les allocations de formation professionnelle des impôts sur les revenus.