Le Conseil fédéral ne voit nul besoin de réformer complètement le système de la sécurité sociale en Suisse. D’accord avec lui, Travail.Suisse considère que fondamentalement la couverture sociale fonctionne en Suisse. Les travaux de fond présentés actuellement devraient tout de même permettre de profiter de poursuivre le développement du système de la sécurité sociale.
Plusieurs initiatives parlementaires exigent une meilleure interaction des systèmes de sécurité sociale chargés de couvrir différents risques. Les propositions vont de l’amélioration de la délimitation des domaines de compétences et de conditions cadre plus claires pour la garantie du minimum vital, en passant par une assurance générale du revenu, jusqu’à une assurance de base indépendante des besoins dans l’esprit d’un revenu de base. Récemment, le Conseil fédéral a présenté dans un Rapport1 les points forts et les faiblesses des systèmes actuels de sécurité et les a comparés avec diverses propositions de réforme. Il parvient à la conclusion que le système actuel remplit bien sa mission.
Quand la sécurité sociale est-elle bonne?
Dans son appréciation, le Conseil fédéral part de deux objectifs que le système de la sécurité sociale doit atteindre: il doit garantir la sécurité matérielle et assurer l’intégration de la population. Le rapport fait appel aux critères d’analyse suivants pour apprécier dans quelle mesure le système remplit bien ces tâches et a donc toute sa légitimité:
- Pertinence : le système atteint-il les objectifs de sécurité matérielle et d’intégration sociale?
– Efficience: les moyens à disposition sont-ils engagés efficacement?
– Transparence: les personnes concernées ont-elles facilement accès au système?
– Adéquation aux valeurs: le système correspond-il aux valeurs essentielles de la société (p.ex. responsabilité personnelle, égalité de traitement, importance du travail rémunéré, répartition) ?
– Durabilité: une base financière solide existe-t-elle?
– Capacité d’adaptation: comment le système s’adapte-t-il aux nouveaux besoins de la société (p.ex. working poor, mobilité, familles monoparentales, etc.) ?
Le Conseil fédéral attribue de bonnes notes au système actuel
Le Conseil fédéral attribue une bonne note au système actuel. Il atteste que les objectifs de sécurité matérielle et d’intégration sociale sont atteints de manière satisfaisante. Mais quoi qu’il en soit, le Conseil fédéral est conscient que le second objectif est en étroite corrélation avec le marché du travail: si les entreprises ne coopèrent pas, l’intégration est impossible. En ce qui concerne l’efficience, le fait est notamment évoqué que les prestations de la sécurité sociale sont fortement orientées vers la perte du revenu d’une activité lucrative. Certes, la répartition est de ce fait limitée. Il y a donc peu d’incitations à contourner le système, par exemple en ne montrant pas certains revenus afin de soustraire des cotisations. La solidarité est ainsi maintenue dans une mesure jugée correcte.
Aussi complexe que nécessaire, aussi simple que possible
Certes, le Conseil fédéral admet que des pertes d’efficacité peuvent se produire (p.ex. par de longues procédures) du fait de la complexité des diverses branches d’assurances sociales et de leur imbrication. Il souligne parallèlement que cette complexité est aussi souhaitable pour venir à bout de la multitude de situations différentes et de cas particuliers. La transparence et l’accessibilité existent dans la plupart des situations. Toutefois, le Conseil fédéral considère qu’il est absolument nécessaire d’agir dans de multiples problématiques. A cet égard, il y aurait lieu d’améliorer les interfaces entre divers organismes. Il est clair pour le Conseil fédéral que – sur la question des valeurs – celle du travail dans les systèmes de protection sociale coïncide avec sa valeur au sein de la société. Il n’y a donc pas lieu de remettre en question les valeurs fondamentales du système en introduisant des prestations inconditionnelles. De plus, la marge de manœuvre à l’égard de nouvelles adaptations du système est réduite de par l’évolution démographique, qui requiert des moyens, ainsi que par les engagements internationaux (en particulier la libre circulation des personnes et les règles de l’UE en matière de coordination). Le système s’est pourtant révélé suffisamment souple jusqu’ici pour répondre à de nouveaux besoins.
Selon Travail.Suisse, il est nécessaire de poursuivre le développement
Travail.Suisse est d’accord avec le Conseil fédéral que, fondamentalement, la sécurité sociale fonctionne de manière fiable en Suisse. Elle requiert pourtant certaines améliorations ciblées. Des propositions de réforme telles que l’assurance générale du revenu donnent une impulsion importante à la poursuite du développement de la sécurité sociale et devraient être prises au sérieux. Par contre, une réforme d’envergure semble difficilement réalisable dans le cadre des processus politiques helvétiques. De plus, elle porte en elle le risque d’un nivellement des prestations vers le bas, dans les conditions de majorité politiques actuelles. C’est pourquoi il faut plutôt opérer des réformes par étapes, mais de manière ciblée. Du point de vue de Travail.Suisse, de quelles autres étapes de développement la sécurité sociale a-t-elle besoin pour mieux satisfaire les critères susmentionnés?
– Obligations des employeurs en matière d’intégration professionnelle: pour atteindre efficacement l’objectif d’intégration de la sécurité sociale, il convient aussi que le camp des employeurs ait davantage d’obligations. Actuellement, seules les personnes concernées sont tenues de s’efforcer de retrouver du travail (assurance-chômage, assurance-invalidité, aide sociale). L’objectif de l’intégration professionnelle ne sera pas atteint si le marché du travail n’est pas tenu, lui aussi, par les assurances sociales de recruter ces personnes. Il n’est pas normal que les employeurs refusent par exemple de payer des cotisations plus élevées à l’assurance-chômage ou à l’assurance-invalidité, qu’ils veuillent relever l’âge de la retraite, qu’ils exigent que le nombre de bénéficiaires d’une rente d’invalidité et les périodes de versements d’indemnités journalières en cas de chômage soient réduits, et qu’en même temps ils puissent se moquer comme de l’an quarante de l’intégration professionnelle de toutes les personnes concernées (y compris les travailleurs âgés). De plus, il est nécessaire d’améliorer la coordination dans le domaine des efforts d’intégration. Que quelqu’un bénéficie de mesures de réadaptation relevant de l’assurance-chômage, de l’assurance-invalidité ou d’une autre institution d’aide sociale ne devrait en principe jouer aucun rôle. Si l’économie doit s’impliquer davantage, un centre de coordination est également important dans cette perspective. Il faut soutenir des projets pilotes appropriés.
– Une réinsertion durable plutôt qu’une réinsertion la plus rapide possible: il n’est pas toujours judicieux de se concentrer sur une intégration aussi rapide que possible des personnes concernées dans le premier marché du travail: le manque de formation est actuellement la raison principale de l’exclusion du marché du travail. Les systèmes de sécurité sociale doivent donc permettre en premier lieu l’obtention d’un certificat de formation initiale pour une insertion durable dans le marché du travail de nombreuses personnes concernées. Cela requiert parfois du temps, mais cela en vaut la peine pour tous les participants. La démarche consistant à retourner directement dans le premier marché du travail est trop importante pour de nombreuses personnes capables de ne fournir que des prestations partielles. C’est pourquoi il est nécessaire d’offrir des possibilités de réinsertion progressive, pas à pas. Pour ce faire, il faut davantage d’entreprises sociales qui soient soutenues par les systèmes de protection sociale. Par ailleurs, un emploi durable dans une entreprise sociale répond mieux à l’objectif d’intégration qu’une exclusion durable du monde du travail.
– Mieux soutenir les working poor: aujourd’hui, la perte de gain n’est pas le seul facteur de risque. Trop de familles vivent dans la pauvreté, malgré une activité professionnelle. Le système doit alors fournir une prestation d’adaptation. Le taux de risque relatif de pauvreté des actifs se situe à 7,7 %; il est élevé en comparaison internationale. Il faut donc déployer une offensive de formation de rattrapage destinée aux actifs qui n’ont pas de certificat de formation post-obligatoire. Pour Travail.Suisse, un objectif de 3000 certificats professionnels par an, soit 30‘000 certificats en dix ans, serait approprié. Un certificat permet à la personne active concernée d’améliorer ses qualifications et donc la perspective d’un meilleur salaire ou par exemple d’un rapport de travail de durée indéterminée. Deuxièmement, les allocations familiales doivent être relevées à 350 francs par enfant ou 500 francs par enfant en formation, afin que les enfants ne soient pas un risque de pauvreté pour les parents exerçant une activité professionnelle. L’exemple des working poor révèle qu’il est nécessaire d’élargir la vision de la couverture en interaction avec la politique de la formation, avec celle du marché du travail et avec la politique familiale.
– Assurer la fiabilité et garantir l’accès : La fiabilité constitue une valeur importante d’un système de sécurité sociale qui fonctionne: les efforts déployés pour réduire aussi les rentes en cours (IV 6b) et pour en supprimer (IV 6a), qui font actuellement l’objet de discussions dans le cadre de l’AI, sapent la confiance et la fiabilité, ce qui affaiblit la légitimité du système. De plus, les coûts sont ainsi répercutés sur d’autres systèmes de protection et entraînent des lacunes financières pour les personnes concernées. Il s’agit d’y mettre le holà. Il est au contraire nécessaire de combler les lacunes qui existent actuellement. La plus importante est le manque d’une assurance obligatoire d’indemnités journalières en cas de maladie. Au nom de la transparence, il faut assurer l’accès à l’aide sociale pour les personnes concernées. Les bénéficiaires de l’aide sociale continuent d’être stigmatisés. Il existe un taux élevé de non-revendication de ces prestations de la part de personnes qui y auraient droit. Cela relève partiellement d’une volonté politique. Afin d’assurer l’accès à l’aide sociale de tous ceux qui en ont besoin, il faut que cette dernière perde son caractère tabou.