L’initiative Lüscher n’est que la première tentative du Parlement visant à libéraliser totalement le commerce de détail. Les initiatives Lombardi, Abate et Bertschy, qui mènent à une rupture des digues au détriment des 370’000 personnes travaillant dans le commerce de détail, suivent la procédure parlementaire. Par son référendum, Travail.Suisse, l’organisation faîtière indépendante des travailleurs, s’oppose à cette première tranche de la tactique du salami opérée par le front bourgeois.
Les partisans de l’initiative Lüscher reprochent à Travail.Suisse et aux autres membres de l’alliance pour le dimanche de forcer une votation référendaire sur la base d’une nullité. Ce faisant, ils occultent le fait que l’amendement prévu dans la loi sur le travail n’est pas une bagatelle isolée, mais s’inscrit dans une stratégie globale visant à libéraliser totalement le commerce de détail.
Initiative parlementaire Lüscher: il n’y a aucune nécessité d’ouvrir les magasins 24 heures sur 24
Travail.Suisse soutient pour deux raisons le référendum lancé contre l’initiative Lüscher: premièrement, l’ouverture 24 heures sur 24 des magasins de stations service n’est indispensable ni sur le plan technique ou économique, ni du point de vue des consommateurs. Elle servira bien plus les intérêts particuliers de l’Union pétrolière. Les travailleurs du commerce de détail qui devront travailler 24 heures sur 24 verront leur position se dégrader.
La récolte de signatures pour le référendum connaît un beau succès. Dans la rue, les gens réagissent tout à fait positivement. Les horaires d’ouverture 24 heures sur 24 ne sont pas souhaités et sont qualifiés d’exagérés par beaucoup. Selon une opinion très répandue, « en Suisse, nous ne voulons pas d’une surconsommation à l’américaine ».
Un dangereux paquet d’initiatives parlementaires
Pourtant, c’est justement ce qui est visé. Et nous en arrivons déjà à la seconde raison pour laquelle Travail.Suisse soutient le référendum lancé contre l’initiative Lüscher. Les trois motions Lombardi, Abate et Bertschy, qui visent à une dérégulation totale du commerce de détail, suivent le processus parlementaire. Les trois initiatives sont vendues chacune par les initiateurs comme étant inoffensives, modestes et raisonnables, alors que pour le personnel de vente et pour d’autres entreprises et branches liées au commerce de détail elles signifient dans le paquet global une rupture totale des digues en matière de travail de nuit et du dimanche.
Motion Lombardi: extension obligatoire au niveau national des horaires d’ouverture des magasins
Dans sa motion, le conseiller aux Etats Lombardi demande – sous prétexte de lutter contre le franc fort – une extension obligatoire des horaires d’ouverture des magasins dans les cantons, du lundi au vendredi entre 6 et 20 heures et le samedi entre 6 et 19 heures. Le Conseil des Etats a adopté cette motion en automne 2012, et la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national (CER-CN) se penche sur la question en ce mois de février. Une chose est claire: la Banque nationale suisse doit réagir face aux problèmes que génère le franc fort. Ces problèmes ne sauraient être résolus, comme M. Lombardi le pense, à l’aide d’un amendement de la loi fédérale sur le marché intérieur. Du point de vue du fédéralisme, la motion entraîne au niveau national une harmonisation et une extension contraignantes et inacceptables des horaires d’ouverture des magasins, qui toucheraient une bonne moitié des cantons.
Motion Abate: suppression de l’interdiction de travailler le dimanche dans le commerce de détail
Sous le couvert de la promotion du tourisme, le conseiller aux Etats Abate souhaite que le travail du dimanche soit autorisé dans le commerce de détail. Le Conseil des Etats a adopté en hiver 2012 cette motion, qui veut supprimer la notion de régions touristiques et les limitations imposées jusqu’ici, ainsi que redéfinir des zones économiques fonctionnelles. Et étendre ainsi le travail dominical dans le commerce de détail aux régions, villes et localités où le travail du dimanche n’était pas autorisé jusqu’ici. De même, la limitation du travail du dimanche selon la saison devrait être supprimée. En d’autres termes, le travail dominical dans le commerce de détail couvrirait l’ensemble du territoire pendant toute l’année. L’élément perfide de cette motion réside dans le fait qu’elle incite le Conseil fédéral à introduire ces modifications par voie d’ordonnance. Or, étant donné qu’il est impossible de lancer un référendum contre des amendements apportés à une ordonnance, elle écarte ainsi le vote par le peuple.
Motion Bertschy: introduction du travail de nuit pour tout le monde
En allant encore plus loin que le seul commerce de détail, la motion Bertschy confond définitivement l’initiative Lüscher qui ouvrait la voie à une libéralisation totale. La conseillère nationale Bertschy présente les arguments des « armes inégales » et de la « distorsion de la concurrence », puisque l’initiative Lüscher prévoit des ouvertures pendant toute la nuit uniquement pour les magasins des stations-service. Elle exige que tous les points de vente et même les sociétés de service ayant une surface de 120m2 puissent employer leur personnel – sans autorisation particulière – 24 heures sur 24, 7 jours par semaine. Cela signifie qu’à l’avenir le salon de coiffure, la succursale de banque, la boutique de téléphonie mobile, le bureau de poste, la pharmacie, le dentiste et le centre médical pourront employer leurs collaborateurs 24 heures sur 24, 7 jours par semaine.
Une rupture des digues aux graves conséquences
Le commerce de détail compte pour une large part parmi les branches où les salaires sont très bas. Employant 370’000 personnes, c’est la deuxième branche la plus importante de l’économie suisse. Deux tiers des personnes occupées dans le commerce de détail sont des femmes. La proportion de rapports de travail précaires est aujourd’hui déjà relativement élevée dans le commerce de détail. Les salaires et les conditions de travail sont de plus en plus sous pression.
- Les initiatives Lüscher, Lombardi, Abate et Bertschy contribuent à détériorer davantage la situation du personnel de vente. À cela s’ajoute que le commerce de détail ne connaît pas de convention collective de travail susceptible d’offrir une meilleure protection aux personnes occupées dans cette branche. Il conviendrait de trouver des possibilités d’améliorer les conditions de travail plutôt que d’avancer sur la voie de la dérégulation.
- Avec les initiatives Lüscher, Lombardi, Abate et Bertschy, il ne reste plus que des miettes pour la vie de famille des vendeuses concernées. Les offres de structures d’accueil n’existent pas, étant donné que les crèches ou les écoles de jour ne sont ouvertes que jusqu’à 18 heures, au plus tard jusqu’à 19 heures, et sont fermées le dimanche. Concilier vie familiale et vie professionnelle n’en est donc que plus compliqué.
- En soi, les initiatives Lüscher, Lombardi, Abate et Bertschy ne font pas croître le chiffre d’affaires. Au contraire: dans le commerce spécialisé, les petites entreprises et les entreprises familiales, les coûts augmentent alors que les chiffres d’affaires restent stationnaires, ce qui entraîne de plus en plus d’évictions du marché dans le commerce spécialisé. Ce sont uniquement les grandes chaînes de magasins, les discompteurs et les grands centres de distribution qui peuvent se permettre – économiquement – des heures d’ouverture plus étendues. Ce n’est pas un hasard si l’Union suisse des détaillants s’oppose à davantage de travail de nuit et du dimanche.
- Les initiatives Lüscher, Lombardi, Abate et Bertschy affecteront d’autres branches. Les entreprises de sous-traitance et les entreprises travaillant dans les domaines de la logistique, de la sécurité, du nettoyage, de l’informatique et enfin les unités de production seront de plus en plus nombreuses à devoir suivre le mouvement. Finalement, la loi sur le travail sera tellement édulcorée que nous devrons tous travailler aussi pendant la nuit et que le jour de congé dominical deviendra un jour de travail comme tous les autres.
Dans de nombreux cantons, en refusant, ces dernières années, des horaires d’ouverture des magasins plus étendus ou dominicaux, le peuple a dit clairement qu’il ne souhaitait pas de nouvelle libéralisation dans le commerce de détail. De toute évidence, les parlementaires Lüscher, Lombardi, Abate et Bertschy n’en ont pas tenu compte.