En mai prochain s’ouvrira la consultation sur le projet législatif destiné à soulager les proches aidants annoncé par le Conseil fédéral il y a un an tout juste. Ce dernier mentionnait diverses mesures, comme des congés de courte durée pour soigner un parent malade, des congés de longue durée pour soigner son enfant gravement malade ou accidenté. Ces mesures ont la particularité de répondre à des situations d’urgence. Sans attendre les nouvelles mesures gouvernementales, des entreprises étrangères et suisses ont pris les devants en se montrant compréhensives et parfois généreuses. Le point sur les besoins et les attentes.
Dans la presse suisse alémanique1, on apprend que – suivant de très loin l’exemple d’entreprises nord-américaines (Microsoft, qui accorde jusqu’à 4 semaines de congé payé par année, sans exiger de certificat médical, ou Google qui donne jusqu’à 14 jours de congé de soins payés, puis des congés non payés et des réductions de temps de travail), de grandes entreprises suisses accordent une certaine souplesse à leurs employé-e-s concerné-e-s par des tâches de « care » urgentes. Sont citées Migros, Novartis, Swisscom, Roche, UBS. A y regarder de plus près, les solutions proposées ne sont pas aussi généreuses que celles prises par les entreprises américaines. Mais le constat s’impose : les grandes entreprises ont compris la nécessité de répondre aux besoins de leur personnel. Face au vide juridique actuel, elles ont pris les devants. Mais seules les plus solides au niveau financier peuvent offrir des congés payés à leurs employés aidant leurs proches.
Ce qui est frappant dans les solutions adoptées ici et là, est que tout dépend du bon vouloir de la hiérarchie. Chaque négociation est unique et personne n’est assuré d’obtenir la même chose que son collègue. Les mesures prises pour faciliter la conciliation de l’activité professionnelle et le travail de care sont très diverses. Ici, on propose aux gens de travailler plus tôt et/ou plus tard en début de semaine, de manière à pouvoir partir en week-end plus tôt. Là, un compte de temps est ouvert où le temps pris à soigner les proches est compensé plus tard. Ailleurs, on offre des jours de congé, mais ils ne seront pas payés. Parfois, l’employeur achète pour les employé-e-s des conseils de conciliation prodigués par une entreprise spécialisée mandatée.
Le travail de care régulier est très répandu et souvent « tabou »
Avant de finaliser le projet de modifications législatives, l’Office fédéral de la santé publique a mandaté diverses études pour connaître l’ampleur des besoins d’une p[^art, et pour examiner comment la conciliation entre l’activité professionnelle et la prise en charge de proches malades est abordée au sein des entreprises d’autre part. Des études précédentes réalisées par l’Institut de recherche Careum ont démontré que très souvent, les entreprises ignoraient la situation vécue par leurs employé-e-s confronté-e-s au travail de care. Les premiers résultats indiquent que les entreprises ne connaissent toujours pas assez ce qui existe, comme l’article 36 de la Loi sur le travail qui permet aux parents actifs de prendre jusqu’à trois jours de congé payé pour s’occuper de leur enfant malade : un employé sur cinq ne peut pas prendre congé et 20% des employé-e-s des entreprises interrogées ne sont pas payés durant cette courte absence légale. Interrogée sur la pertinence des premiers résultats auprès de quelques 2’200 entreprises qui ont répondu à l’enquête du bureau bâlois B,S,S Volkswirtschaftliche Beratung, Travail.Suisse a eu l’occasion d’attirer l’attention des enquêteurs sur la dimension « tabou » de ce travail de care réalisé dans la sphère privée et par conséquent, de mettre en perspective les résultats obtenus auprès des entreprises. Quand il s’agit de répondre à une enquête officielle ou à un journaliste, il est tentant de présenter la politique de l’entreprise sous son meilleur jour. Ce qu’il se passe dans la réalité est une autre histoire. Ce sont donc les premiers intéressé-e-s, les proches aidants, qu’il s’agit de sonder.
En effet, selon l’Enquête suisse sur la population active 20142, plus de la moitié (56%) des personnes actives occupées prennent congé des journées entières pour des raisons familiales. Onze pourcents des personnes prenant en charge des adultes ont indiqué avoir réduit leur temps de travail pendant au moins un mois et 7% ont interrompu leur activité professionnelle durant plus d’un mois. En Suisse, on parle des difficultés que rencontrent chaque jour près de 340’000 personnes, un chiffre qui est amené à grossir en raison du vieillissement de la population et du manque d’infrastructures adaptées. Les femmes sont nettement plus nombreuses à subir une restriction de leur activité professionnelle en raison de tâches de care. Quand les enfants sont jeunes (0-14 ans), 32,7% des femmes en couple avec des enfants (et 32,7% élevant leurs enfants seules) sont dans ce cas, contre 11,7% des hommes en couple avec enfants (et 24,9% des hommes élevant leurs enfants seuls). Dans les ménages où l’on s’occupe d’enfants plus âgés ou d’adultes, les femmes actives sont 18,5% à subir une restriction de leur activité professionnelle. Pour les hommes, les chiffres sont insignifiants (et non recensés).
Les situations chroniques demandent des mesures novatrices
Pour le moment, le projet en préparation semble répondre aux seules situations aiguës et exceptionnelles (maladie très grave, accident, urgence), c’est-à-dire celles où le manque en infrastructures est le plus criant, mais aussi celles qui occasionnent le plus souvent de la compréhension et de la bonne volonté de la part des employeurs. C’est déjà une très bonne chose. Toutefois, le travail de care de longue durée et régulier mérite aussi des mesures novatrices. Parce que ces situations sont les plus difficiles à gérer par les proches aidants, qu’elles les atteignent dans leur santé en les « usant » et qu’elles peuvent à terme compromettre leur avenir économique (manques dans le deuxième pilier en cas de réduction ou de cessation de l’activité professionnelle). Travail.Suisse espère que le projet réponde aux besoins du plus grand nombre en proposant aussi des solutions en cas de situations d’aide régulière à long terme, en cas de maladies chroniques ou de handicap.
1Tagesanzeiger / Berner Zeitung / Der Bund / Blick „US-Firmen bringen Pflegeurlaub in die Schweiz“, 19 janvier 2018
2OFS, Enquête suisse sur la population active: «Conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale», Neuchâtel octobre 2014 https://www.bfs.admin.ch/bfsstatic/dam/assets/349765/master