Juste avant les vacances d’été s’est ouverte la consultation sur le projet législatif destiné à soulager les proches aidants qui travaillent. Ce projet de loi propose trois mesures pour régler en majorité les situations d’urgence. Or, les besoins des proches aidants sont nombreux. Les situations d’aide et de soutien réguliers ne sont pas traitées par le projet. D’autres mesures dans différents secteurs sont nécessaires et attendues. Travail.Suisse, l’organisation faîtière indépendante des travailleurs et travailleuses, souhaite que le législateur complète cette première ébauche de dispositif, dans le but que notre pays puisse continuer de bénéficier des gains sociaux immenses que lui apporte l’entraide au sein et en dehors des familles.
Lors d’une édition précédente, les trois mesures qui visent à faciliter la conciliation de l’activité professionnelle et le travail de care contenues dans le projet de loi en consultation jusqu’au mois de novembre ont été exposées1. Nécessaires, Travail.Suisse les accepte bien sûr. Toutefois, elles doivent être complétées et parfois précisées. Ce petit paquet de mesures doit en outre être complété par d’autres mesures tout autant nécessaires.
Le défi est immense et imminent
Nous le disions aussi en début d’année2, il est bien sûr nécessaire de régler les situations d’urgence et exceptionnelles comme les maladies graves, les accidents et toutes les situations urgentes qui se produisent de manière imprévue et requièrent l’intervention et la présence du travailleur ou de la travailleuse. Or, ces situations occasionnent le plus souvent de la compréhension et de la bonne volonté de la part des employeurs. Nos élus ont aussi la tâche de trouver des mesures novatrices au travail de care régulier de longue durée.
Car le défi est à notre porte et il est immense. Le vieillissement de la population étant ce qu’il est, le nombre de proches aidants est appelé à croître. On estime à 1,9 million le nombre de personnes actives occupées (entre 15 et 64 ans) qui ont au moins une tâche de prise en charge. Selon l’Enquête suisse sur la population active 20143, plus de la moitié (56%) des personnes actives occupées (elles sont plus de 4 millions au total) prennent congé des journées entières pour des raisons familiales. En Suisse, on parle des difficultés que rencontrent chaque jour près de 340’000 personnes, un chiffre qui est amené à grossir en raison du vieillissement de la population, de l’augmentation des ménages à une seule personne et du manque d’infrastructures adaptées. Parallèlement, l’économie souffre de main d’œuvre qualifiée. Or, onze pourcents des personnes prenant en charge des adultes ont indiqué avoir réduit leur temps de travail pendant au moins un mois et 7% ont interrompu leur activité professionnelle durant plus d’un mois. Pire, l’année passée, 15’000 personnes (dont 87% de femmes) ont arrêté de travailler pour des raisons personnelles ou familiales. Et tout cela, c’est encore sans compter les personnes déjà à la retraite qui assument un rôle de proche aidant-e. Ceux-là (le plus souvent celles-là, car les femmes sont plus nombreuses) sont hors du marché du travail, mais ils compromettent leur santé et leur équilibre à trop vouloir en faire.
Pas trace du congé de repos, ni d’allocations d’assistance
Le Conseil national avait donné suite à deux initiatives parlementaires de l’ex-conseillère nationale démocrate chrétienne Lucrezia Meier-Schatz portant sur les proches aidants en 20114. Un postulat de la CSSS-N a suivi dans la foulée en 20135, lui aussi adopté en plenum. Il était question de financer un congé de repos pour tous les proches aidants et des allocations d’assistance directes pour les mêmes. Ces textes ne trouvent malheureusement aucun écho dans le projet de loi sur la table. Le gouvernement peut donc remettre son ouvrage sur le métier : il n’a pas terminé sa tâche de répondre aux besoins des proches aidants.
Idées novatrices et politique harmonisée requises
Dans son document de position relative à l’égalité6, Travail.Suisse revendique encore quelques mesures capables de soutenir l’aide des proches aidants. Certaines ont déjà été relayées au parlement : le vice-président et conseiller national Jacques-André Maire souhaite que les bénévoles engagés dans le travail de care de longue durée au sein d’associations reconnues pour des tâches de care directes fournies auprès de personnes soient « remerciés » de leur engagement par une amélioration de leur rente AVS7. En matière de deuxième pilier, le président de transfair et conseiller national – Stefan Müller-Altermatt – a déposé un postulat, accepté par le Conseil fédéral et adopté par le Conseil national, demandant que l’Etat prenne en charge la part de l’employeur quand un-e proche aidant réduit son temps de travail, dans un cadre défini (réduction de 20% maximum, avec maintien d’un taux d’activité de 60% au minimum)8.
D’autres besoins ont déjà été signalés dans une étude qui a fait date9. Par exemple, les allocations pour impotents dans l’AVS pourraient être doublées, comme cela se fait dans l’assurance invalidité (AI) quand la prise en charge se fait à domicile. Les contributions d’assistance dans l’AI pourraient aussi être versées aux proches dans la famille et pas seulement à des tiers externes. Ou encore, les périodes de prise en charge à plein temps de proches pourraient être pris en compte pour prolonger le délai-cadre dans l’assurance chômage, à l’instar de ce qui est prévu pour les périodes éducatives sans activité professionnelle lors de l’éducation et la prise en charge d’enfants de moins de quatre ans. Cette nouvelle disposition devrait aussi s’appliquer quand la personne réduit son temps de travail dans le but de prendre en charge des proches.
Enfin, il serait judicieux d’introduire un droit à pouvoir travailler à temps partiel pour toutes les personnes proches aidantes d’enfants ou d’adultes. Cette revendication est régulièrement rappelée par Travail.Suisse depuis plusieurs années. Car il importe que les proches aidants actifs professionnellement conservent leur activité professionnelle : il en va de leur équilibre personnel et de leur future retraite, tandis que les entreprises peuvent ainsi conserver une main d’œuvre qualifiée et expérimentée. Ce droit au travail à temps partiel devrait cependant être cadré, à l’image des dispositions en vigueur pour le personnel de l’administration fédérale (une réduction possible de 20% au maximum, pour autant que le taux d’activité ne descende pas en dessous du seuil permettant d’accéder à l’épargne dans la prévoyance professionnelle, en général pas en dessous de 60%). Le droit à travailler à temps partiel pourrait être limité dans le temps, afin de permettre une réévaluation de la situation des travailleurs et des travailleuses et une adaptation du pensum en conséquence.
Finances et gains sociaux
Soutenir les proches aidants fait gagner l’ensemble de la société. Selon l’Office fédéral de la statistique, le coût moyen d’une prise en charge en EMS coûte 8700 francs mensuels (soit 9,5 milliards pour toute la Suisse), dont les deux tiers sont à la charge des résident-e-s pour les prestations socio-hôtelières non couvertes par l’assurance maladie et la participation aux coûts des soins proprement dits. Autrement dit, le maintien à domicile d’une personne engendre des économies à la charge de l’Etat (donc de nos impôts) de 8000 à 10’000.- par mois. Le maintien à domicile est aussi la seule solution pour tous ceux et celles qui ne peuvent assumer les coûts d’un placement en institution spécialisée. Ils deviennent proches aidants et s’épuisent à cette lourde tâche.
Récemment, les chiffres de la prise en charge des malades souffrant de la maladie d’Alzheimer ont été rappelés par la presse10. Une grande part (43,5%) des coûts estimés à 9,5 milliards de francs est prise en charge par les proches : cela représente 4,2 milliards, tandis que les coûts directs en EMS, en séjours à l’hôpital, en aide et soins à domicile et autres se chiffrent à 5,3 milliards. On sait par ailleurs que le nombre de personnes atteintes – 150’000 en 2018 – pourrait plus que doubler d’ici 2030.
Mais il serait un peu court de ne considérer la thématique que sous l’angle des finances. Favoriser, soutenir et encourager cet élan volontaire d’aide entre personnes est d’abord une question d’humanité. Les gains sociaux ne sont pas chiffrables, mais il est facile de percevoir l’ampleur de ce qu’une société perdrait si l’entraide disparaissait. C’est pourquoi une politique cohérente en faveur des proches aidants peut bien coûter quelques pourcents de notre PIB florissant.
fn. 1 Valérie Borioli Sandoz, « Proches aidants – trois mesures et toujours beaucoup de besoins », Service Médias, 20 août 2018
2 Valérie Borioli Sandoz , « Il faut des congés payés pour soigner ses proches », Service Médias, 6 février 2018.
3OFS, Enquête suisse sur la population active: «Conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale», Neuchâtel octobre 2014 https://www.bfs.admin.ch/bfsstatic/dam/assets/349765/master
4 Lucrezia Meier-Schatz, « Créer une allocation d’assistance pour les personnes qui prennent soin d’un proche », In. parl. 11.411 ; « Permettre aux personnes qui s’occupent d’un proche de prendre un congé de repos », In. parl. 11.412.
5CSSS-N « Prévoir des allocations d’assistance et des possibilités de décharge pour les personnes qui prennent soin d’un proche », Postulat 13.3366
6 Valérie Borioli Sandoz, « Egalité hommes-femmes aujourd’hui et demain. 28 revendications pour plus de liberté de choix afin de garantir la qualité de vie des travailleurs et des travailleuses », Travail.Suisse, Berne, avril 2018.
7 Jacques-André Maire, « Reconnaissance et bonifications pour des tâches bénévoles d’aide et de soutien à des tiers « , Postulat 18.3422
8 Stefan Müller-Altermatt, « Pour une couverture LPP adéquate des proches aidants », Postulat 16.3868
9 H. Stutz et C. Knupfer, « La protection sociale du travail de care non rémunérée », BFEG, Berne, mai 2012.
10 Sylvie Logean, „Alzheimer, l’impossible consensus“, Le Temps, 20 septembre 2018.