Au cours de la prochaine session, le Parlament va délibérer une fois de plus sur de nombreux objets de première importance pour les travailleurs et travailleuses. La position de Travail.Suisse, l’organisation faîtière indépendante des travailleurs et travailleuses, sur des objets sélectionnés est brièvement résumée ci-après.
Politique économique et politique du marché du travail
Conseil national – Motion Aeschi. Relèvement de la valeur seuil permettant d’étendre le champ d’application des conventions collectives de travail (12.3806) : L’extension du champ d’application des conventions collectives de travail est un élément essentiel du partenariat social appliqué avec succès en Suisse et en représente un fondement important. Cette extension du champ d’application des CCT fait que l’ensemble de la branche concernée contribue aux coûts des offres de formation initiale et de formation continue (fonds de formation) et à l’application de la CCT (contrôles). De nombreuses conventions collectives de travail ne pourraient être respectées sans une extension de leur champ d’application. Les bonnes relations découlant du partenariat social seraient torpillées dans des branches entières. Il faut en outre souligner que seuls sont contraignants aussi pour les entreprises étrangères les salaires et les dispositions relatives aux horaires de travail qui sont fixés par des conventions collectives de travail étendues. Par conséquent, un alourdissement de l’extension du champ d’application laisserait la porte ouverte au dumping salarial et social d’entreprises étrangères et pénaliserait les entreprises suisses correctes qui appliquent le principe du partenariat social. Un relèvement de la valeur du seuil permettant d‘étendre le champ d’application donnerait le coup de grâce au modèle de réussite qu’est le partenariat social. Travail.Suisse rejette donc résolument cette motion.
Conseil des Etats – Initiative parlementaire Aubert Prévention de l’endettement par l’interdiction de la publicité en faveur des petits crédits – Loi fédérale sur le crédit à la consommation (LCC). (10.467) : la modification prévue de la loi sur le crédit à la consommation vise à interdire la publicité agressive en faveur des crédits à la consommation. Travail.Suisse approuve cette modification dont l’objectif est de réduire l’endettement des jeunes. Il importe de contrer cet endettement des jeunes qui contractent des crédits à la consommation, car il débouche sur une perte d’autonomie et de responsabilité individuelle et, dans de nombreux cas, engendre des coûts élevés pour l’aide sociale. La modification de la loi sur le crédit à la consommation, élaborée par le Conseil national et soutenue par la CER du Conseil des Etats, est modérée. Elle prévoit d’associer la branche à la définition de ce qu’il faut entendre par publicité agressive. Par conséquent, il est possible de responsabiliser tous les acteurs du petit crédit
Conseil des Etats – Initiative parlementaire Maire. Cartes de crédit. Une réglementation plus stricte pour lutter contre l’endettement des jeunes (11.459) : cette initiative parlementaire vise à empêcher l’endettement des jeunes dû à une utilisation excessive de la carte de crédit. Dans ce but, le débit des paiements par carte de crédit effectués par les jeunes adultes de moins de 25 ans doit être immédiat, comme doit l’être l’affichage du solde du compte. De plus, il doit être impossible d’effectuer des paiements lorsque le solde du compte est négatif. Travail.Suisse considère que l’endettement des jeunes adultes est un problème préoccupant. Il s’agit d’empêcher l’apparition d’une génération de jeunes qui ne peuvent plus sortir du cercle vicieux de l’endettement et deviennent tôt ou tard tributaires de l’aide sociale. Pour cette raison, Travail.Suisse soutient cette initiative parlementaire qui a déjà convaincu une majorité au Conseil national.
Conseil des Etats – Postulat Rechsteiner. Conférence nationale sur le thème des travailleurs âgés (14.3569) : ce postulat invite le Conseil fédéral à convoquer une conférence sur le thème des « travailleurs âgés » en s’inspirant du modèle réussi de la conférence sur les places d’apprentissage. Certes, le nombre de travailleurs âgés qui sont au chômage en Suisse est souvent inférieur à la moyenne, mais celui des travailleurs âgés devenus chômeurs de longue durée est souvent supérieur à la moyenne. Le taux des chômeurs de longue durée âgés de plus de 55 ans dépasse même la moyenne publiée par l’OCDE. Le besoin d’agir s’avère donc grand et, pour cette raison, Travail.Suisse soutient ce postulat.
Politique sociale
Conseil des Etats – Motion Kuprecht. AI. Eviter les dépenses inutiles (13.4060) : la motion vise à instituer une obligation pour tous les fournisseurs de prestations, selon l’article 35 de la LAMal, d’annoncer à l’assurance-invalidité toute incapacité de travail de longue durée. Comme le Conseil fédéral, Travail.Suisse recommande de rejeter cette motion. Une telle obligation d’annoncer va au-delà de l’objectif d’une meilleure réadaptation : les fournisseurs de prestations tels que les pharmaciens, établissements de cure thermale, laboratoires ou entreprises de transport et de sauvetage seraient donc obligés d’annoncer à l’AI, même s’ils n’accompagnent les assurés que pour une durée très limitée et bien qu’ils ne puissent tout simplement pas dire si une annonce à l’AI est indiquée ou non. Nombre de fournisseurs de prestations visés par l’art. 35 de la LAMal ne sont pas bien placés pour juger d’une incapacité de travail et ne sont pas associés à d’éventuelles mesures relatives à la réadaptation.
Conseil des Etats – Motion Schwaller. Mettre en place sans attendre un plan de redressement financier durable pour l’assurance-invalidité (13.3990) : la version initiale de la motion Schwaller demande que le Conseil fédéral élabore rapidement un nouveau projet, après l’échec de la révision 6b de l’AI. Ce projet doit accélérer le désendettement de l’AI, créer une nouvelle base légale relative à la lutte contre la fraude et renforcer les mesures de réinsertion, en particulier celle des personnes souffrant d’un handicap psychique. La motion a été acceptée par les deux Chambres. Le Conseil national l’a cependant complétée par des mesures supplémentaires concernant les „allocations pour enfant “ – à savoir les rentes pour enfant – le système de rentes et les frais de voyage, raison pour laquelle l’objet va encore être soumis à une procédure d’élimination des divergences. Travail.Suisse s’oppose résolument à ce que la teneur de cette motion aille encore plus loin. Certes, Travail.Suisse est aussi d’avis qu’il faut assurer le désendettement de l’AI, mais l’AI aura probablement déjà grandement réduit sa dette envers le Fonds AVS jusqu’à la fin du financement additionnel en 2017. Il ressort des chiffres les plus récents que l’AI est sur la voie du désendettement. Outre le financement additionnel, les mesures introduites avec la 4e et la 5e révision de l’AI et la révision 6a y contribuent aussi. Ces mesures seront maintenues à la fin du financement additionnel. Par conséquent, l’ajout au point 4 n’est vraiment pas nécessaire. De plus, il accroît le risque d’échec d’une nouvelle révision de l’AI. La motion avec les ajouts au point 4 comprend presque toutes les mesures contenues dans le projet 6b qui a déjà échoué une fois. Travail.Suisse recommande donc – comme la commission de la sécurité sociale du Conseil des Etats – de laisser la motion dans sa version initiale.
Conseil des Etats – Initiative populaire. Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS (Réforme de la fiscalité successorale). (13.107) : cette initiative populaire demande l’imposition des successions de plus de deux millions. Les donations aux conjoints/partenaires enregistrés sont exonérées de l’impôt. De plus, d’importants allègements sont accordés lorsqu’une entreprise ou une exploitation agricole fait partie d’un legs ou d’une donation. Grâce aux montants élevés de la franchise, la classe moyenne est exonérée de l’impôt. Comme le Conseil fédéral, Travail.Suisse juge l’initiative valable. La rétroactivité stipulée dans l’initiative est nécessaire afin d’empêcher un contournement aisé de l’imposition. Travail.Suisse considère en outre que cette initiative alimente grandement la solidarité entre les générations. En même temps, l’acceptation de l’initiative briserait la concurrence fiscale, ruineuse pour certains cantons. Etant donné qu’un tiers des recettes irait aux cantons, ceux-ci en seraient directement fortifiés. De plus, les gens d’obédience libérale devraient donner leur aval à l’initiative, puisque l’imposition de la succession renforce l’idée du principe du mérite et de l’égalité des chances. Les retombées de l’imposition des successions – qui rapporterait, estime-t-on, deux milliards de francs chaque année – seraient positives pour l’AVS puisque le futur trou financier – il doit être comblé par une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée prévue dans la réforme de la prévoyance vieillesse 2020 – se rétrécirait considérablement. Un apport à l’AVS de l’impôt sur les successions importe d’autant plus que le Conseil fédéral a déjà réduit à 1.5 pour cent, suite à la procédure de consultation, les deux pour cent supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée, initialement prévus dans la réforme de la prévoyance vieillesse 2020.
Conseil national – Initiative parlementaire Quadranti. Poursuivre et développer les aides financières aux structures d’accueil extrafamilial (13.451) : l’initiative parlementaire vise à garantir le maintien du programme d’impulsion de la Confédération à la création de places d’accueil extrafamilial. Ce programme est synonyme de succès puisque grâce à lui 40‘000 places d’accueil ont déjà été créées. Or, force est de constater que les moyens affectés au programme d’impulsion – 120 mio de francs pour quatre ans – sont insuffisants : à la moitié de cette période, le Conseil fédéral a été amené à fixer des priorités dans l’affectation des fonds. C’est ainsi que les projets de cantons ayant déjà bénéficié d’une généreuse aide fédérale n’ont plus été soutenus, bien qu’un besoin de places supplémentaires d’accueil extrafamilial reste avéré. Au vu du vieillissement démographique et de la menace d’un manque de main-d’œuvre qualifiée, la création ciblée de places d’accueil extrafamilial est une nécessité et une tâche permanente. Par conséquent, Travail.Suisse recommande l’acceptation de l’initiative parlementaire Quadranti. Il est d’ailleurs impératif que la Confédération prenne en charge durablement cette tâche, comme une majorité de la population l’a exprimé l’an passé dans la votation sur l’article constitutionnel. Travail.Suisse attend ici un rôle plus actif du Conseil fédéral. Etant donné qu’aujourd’hui déjà il est patent que les 120 millions proposés pour quatre années supplémentaires ne suffisent pas, Travail.Suisse recommande d’augmenter les fonds alloués à 200 millions de francs. Il ressort de diverses études que ces investissements en valent la peine pour les pouvoirs publics : grâce à un accroissement des recettes fiscales et aux cotisations aux assurances sociales, des moyens financiers plus élevés refluent vers les pouvoirs publics.
Politique de l’égalité
Conseil national – Initiative parlementaire Meier-Schatz – Créer une allocation d’assistance pour les personnes qui prennent soin d’un proche (11.411) : Les prestations fournies par les familles en matière de « care » auprès de leurs proches sont importantes et précieuses pour les personnes concernées et pour la société. Toutefois, pour Travail.Suisse, la reconnaissance publique de ces prestations doit être améliorée. La commission CSSS du Conseil national a décidé en août dernier de prolonger le délai de traitement de l’initiative parlementaire de la conseillère nationale Lucrezia Meier-Schatz arrivant à échéance, à laquelle son homologue du Conseil des Etats avait adhéré en juin 2012. Travail.Suisse soutient cette initiative, qui correspond à l’une des revendications adoptées en 2011 lors de son congrès. Une allocation d’assistance permettra une prise en charge supplémentaire de l’aide et des soins par les proches aidants, ce qui va décharger d’autant les services d’assistance professionnels. Si la société peut compter sur la bonne volonté des proches, elle doit aussi offrir un soutien matériel en contrepartie.
Conseil national – Initiative parlementaire Meier-Schatz. Permettre aux personnes qui s’occupent d’un proche de prendre un congé de repos (11.412) : Cette initiative parlementaire est le second volet de la première. Nombreuses sont les personnes qui aident, soutiennent, accompagnent et soignent leurs proches âgés, handicapés ou malades chroniques. Mais rien n’est prévu pour leur permettre de se reposer de ces tâches lourdes et fatigantes. L’engagement est souvent conséquent et conduit les proches aidants à aller au-delà de leurs limites physiques, émotionnelles et psychiques. Les sacrifices consentis sont nombreux et il s’agit d’éviter que les proches aidants ne tombent malades à leur tour en instituant un congé de repos reconnu et rétribué d’au moins sept jours par année. Travail.Suisse partage l’analyse et soutient la proposition. A la reconnaissance matérielle de l’aide apportée, il s’agit aussi de répondre aux besoins des proches aidants et de ne pas les abandonner à leur sort alors que la société compte sur leur bonne volonté et leur aide préciseuse.
Conseil national – Postulat Feri. Fixer un quota de femmes dans les conseils d’administration des entreprises fédérales ou cotées en Bourse et prendre des mesures de soutien (12.3802) : Par souci de cohérence, le postulat de la conseillère nationale Feri reprend le chiffre adopté par le Parlement européen en novembre de l’année passée, à savoir qu’à terme, 40% des sièges au sein des conseils d’administration des sociétés cotées en Bourse doivent être occupés par des femmes. Cette décision se base sur un rapport de la Commission européenne, qui a conclu en 2011que la fixation de quotas est une bonne mesure permettant d’atteindre les buts fixés en un temps raisonnable. Le même rapport souligne en outre l’importance d’adopter d’autres mesures pour accompagner les quotas, comme la formation de femmes talentueuses, la tenue d’une banque de données de femmes qualifiées prêtes à occuper des postes de direction, etc. Pour Travail.Suisse, il est temps de prendre des mesures car au rythme où vont les choses, 140 ans seront encore nécessaire en Suisse pour que l’égalité soit atteinte au sein des directions et des conseils d’administration des grandes entreprises qu’elle passe à la loupe dans son étude annuelle sur les salaires des managers. La fixation de quotas à long terme, avec des étapes intermédiaires, est d’actualité. Adaptés à la taille et au statut des entreprises, ils sont une solution efficace pour atteindre le but de l’égalité fixé par la Constitution. Telle est aussi la conclusion de la Commission fédérale pour les questions féminines qui s’est basée sur une analyse réalisée par le Professeur et Docteur en droit Regula Kägi-Diener. Le Conseil fédéral est en mesure d’élaborer un plan d’action qui concernera les entreprises fédérales et cotées en Bourse.
Conseil des Etats – Postulat Graber. Définir une stratégie pour promouvoir la réintégration professionnelle (14.3451) : Constatant que la thématique du retour à la vie active est un thème qui préoccupe ses collègues parlementaires et que la pénurie de main d’œuvre qualifiée va certainement s’aggraver dans les prochaines années, le Conseiller aux Etats Graber demande au Conseil fédéral d’élaborer une stratégie qui mette en évidence des mesures concrètes capables de réintégrer les personnes qui se sont retirées du marché du travail, au nombre desquelles figurent de nombreuses femmes au bénéfice d’une bonne formation. Travail.Suisse a tiré la sonnette d’alarme en 2013 : son étude sur le retour à la vie active lui a permis de décrire plusieurs champs d’action et de formuler des revendications. Les femmes sont nombreuses à être candidates au retour à la vie active (environ 15’000 chaque année), et certaines ont beaucoup de peine à retrouver un emploi à la hauteur de leur formation, leur expérience et les compétences car elles sont, entre autres, victimes de graves préjugés. C’est pourquoi Travail.Suisse espère que le postulat Graber soit accepté.
Politique de formation
Conseil national – Postulat Jositsch. Règles équitables pour conclure des contrats d’apprentissage (12.3706) : Il est évident que la dernière année scolaire a aussi de l’importance en ce qui concerne le choix d’une profession chez les jeunes. Plus les contrats d’apprentissage sont conclus tôt par les entreprises, plus le processus du choix de la profession est perturbé. Les jeunes sont mis sous pression et prennent peut-être des décisions trop rapidement et prématurément. Travail.Suisse constate qu’ici les lois ne peuvent venir à bout de cette question. Le postulat ne demande cependant pas impérativement des mesures légales, car la formation professionnelle connaît déjà d’autres mesures permettant de résoudre les problèmes, par exemple les commitments, campagnes, modèles de best practice, conférences sur la formation données par les personnes concernées parmi les partenaires de la formation professionnelle etc. Travail.Suisse est d’avis que ce postulat permet de lancer la réflexion, au niveau politique national, sur des règles équitables pour conclure des contrats d’apprentissage et de proposer et évaluer des mesures envisageables.
Politique énergétique
Conseil national – Initiative populaire. Remplacer la taxe sur la valeur ajoutée par une taxe sur l’énergie (13.095) : Si le but de l’initiative est positif sur le principe (taxation des énergies fossiles), le moyen utilisé – remplacement de la TVA – est inadéquat. En effet, cela aurait comme effet de priver les pouvoirs publics de ressources financières considérables ainsi que les assurances sociales pour une partie de leur financement supplémentaire. En outre, l’initiative conduirait à pénaliser les petits et moyens revenus. Pour ces raisons, Travail.Suisse demande au Conseil national de suivre le Conseil des Etats qui s’est très clairement prononcé contre cette initiative. Il n’est pas judicieux non plus de proposer un contre-projet à l’initiative car la question de la réforme fiscale écologique fait partie intégrante de la stratégie énergétique 2050.
Conseil des Etats – Postulat Gutzwiller. Asseoir la politique climatique sur des éléments factuels (14.3571) : Il est judicieux de faire une analyse systémique des principaux secteurs émetteurs de gaz à effet de serre pour identifier les potentiels de réduction sur les plans technique et économique. On aura ainsi une bonne vision de ce qui peut être amélioré dans tous les secteurs pour la préparation du projet de législation climatique pour l’après-2020. Travail.Suisse propose, comme le Conseil fédéral d’ailleurs, d’accepter le postulat.
Service public
Conseil des Etats – Initiative populaire. En faveur du service public (14.038) : Tout comme sa fédération Transfair, Travail.Suisse propose le rejet de cette initiative populaire. En effet, les moyens prévus par les initiants pour améliorer la qualité du service universel – diminuer les prix – ne sont pas adéquats et iront même à fin contraire. Ni l’absence du but lucratif, ni la diminution des salaires des hauts dirigeants des entreprises de service public, amélioreront la qualité. Ce seront, au contraire, les contribuables qui devront débourser davantage pour couvrir les coûts du service universel. La commission du Conseil des Etats recommande à l’unanimité le rejet de cette initiative.