L’initiative « En faveur du service public », en limitant drastiquement les possibilités de faire des bénéfices pour les entreprises publiques de la Confédération, aura des effets négatifs pour les places de travail. L’alignement prévu des rémunérations des entreprises publiques de la Confédération sur celles de l’administration fédérale va aussi à l’encontre de la politique d’embauche et des conditions salariales et de travail.
L’initiative vise notamment l’interdiction de but lucratif dans le domaine des prestations de base pour la Confédération. Ce principe s’applique par analogie selon le chiffre 2 de l’initiative aux entreprises qui accomplissent des tâches légales pour le compte de la Confédération dans le domaine des prestations de base ou que la Confédération contrôle directement ou indirectement par une participation majoritaire. Les principales entreprises concernées sont les CFF, Swisscom et la Poste.
On peut interpréter l’interdiction de but lucratif – quoi qu’en disent les initiants – comme la limitation des bénéfices à la constitution de réserves ou à la compensation des pertes. C’est en tout cas ce qui figure dans le message du Conseil fédéral. Autrement dit, les entreprises en question auront une marge de manœuvre beaucoup plus restreinte pour réinvestir les bénéfices à des fins d’investissements ou de recherche. Or, sans investissements et moyens suffisants pour innover, les entreprises publiques de la Confédération ne pourront plus correctement se développer et s’adapter à l’environnement technologique en constante mutation et aux nouveaux besoins de la clientèle.
Concrètement, cela veut dire que les CFF auront moins de moyens pour poursuivre le développement de l’offre ferroviaire ou renouveler le matériel roulant ; la Poste pourra encore plus difficilement que jusqu’ici maintenir son réseau d’office postaux et d’agences postales ; Swisscom sera freiné pour développer la fibre optique et améliorer encore le service universel dans les régions périphériques, en augmentant le débit minimal de 2Mbit/s.
Il ne faut pas oublier que, même si les entreprises en question restent contrôlées par une participation totale ou majoritaire de la Confédération, elles agissent dans un environnement concurrentiel. Il est donc crucial de leur laisser la marge de manœuvre entrepreneuriale nécessaire pour investir et s’adapter aux conditions du marché tout en remplissant leur mission de service public de base.
Perte de compétitivité et menace pour les emplois
L’initiative, si elle est acceptée, aura donc un effet clairement négatif pour la compétitivité des grandes entreprises de droit public de la Confédération. Or, elles jouent un rôle très important dans l’économie nationale par les postes de travail qu’elles donnent directement ou indirectement et ceci, dans l’ensemble du pays. Ainsi la Poste emploie environ 40’000 personnes dont 18’000 dans les régions périphériques, les CFF 31’000 et Swisscom 21’600. Plus de 3’000 apprenti-e-s sont formés chaque année dans ces trois entreprises. Des milliers d’emplois indirects sont maintenus aussi parce que ces entreprises se fournissent auprès d’un nombre très important de fournisseurs en Suisse. Ainsi la Poste se fournit à hauteur de quelque 3.3 milliards de francs auprès de 12’000 prestataires dont 85% ont leur siège en Suisse. Le volume des achats qu’effectue Swisscom auprès des fournisseurs suisses s’élève à environ 2,8 milliards de francs par an.
Il serait donc naïf de croire que l’initiative, en limitant la possibilité de faire des bénéfices pour les entreprises publiques, puisse améliorer la qualité du service public en faisant baisser les prix. Au contraire, la qualité du service public baissera sans pour autant diminuer les prix. Il y aura aussi une pression supplémentaire sur les places de travail, en particulier dans les régions périphériques. L’initiative représente donc une menace pour le maintien des places de travail dans les entreprises publiques de la Confédération.
Partenariat social remis en question, politique d’embauche entravée
Mais l’initiative « en défaveur du service public » menace pas seulement les emplois mais aussi la politique d’embauche ainsi que les conditions de travail et de salaire à la Poste, aux CFF ou chez Swisscom et par effet de ricochet chez les fournisseurs de ces entreprises. Car le texte de l’initiative prévoit aussi que les salaires et les honoraires versés aux collaborateurs de ces entreprises ne soient pas supérieurs à ceux versés aux collaborateurs de l’administration fédérale.
Or, le système salarial et la structure salariale sont fixés et mis en œuvre au niveau de l’entreprise ou de la branche dans le cadre du partenariat social avec des conventions collectives de travail. L’initiative remet ainsi fondamentalement en question le fonctionnement du partenariat social dans plusieurs branches d’activités.
Cela ne fait pas de sens de vouloir, par exemple, calquer la structure salariale d’une entreprise de télécommunications sur celle d’une administration. Il faut pouvoir tenir compte des conditions particulières de l’entreprise et du secteur dans lequel elle opère et fixer des salaires et des conditions de travail conformes aux usages de la branche.
Par ailleurs, fixer une limite supérieure aux salaires afin qu’ils ne soient pas supérieurs à ceux de l’administration fédérale est problématique du point de vue de la politique du personnel en défavorisant l’embauche de personnel compétent et qualifié pour diverses fonctions qualifiées dans les branches en question. Il en résultera une perte d’attractivité pour la Poste, Swisscom ou les CFF et la perte de talents potentiels ainsi que la difficulté à en embaucher en nombre suffisant.
Rien n’est dit dans le texte de l’initiative sur les salaires des dirigeants
Pour terminer, les initiants prétendent, avec leur initiative, faire baisser les rémunérations des dirigeants de la Poste, de Swisscom ou des CFF afin qu’elles ne dépassent pas celles que touchent les conseillères et conseillers fédéraux. Or, il n’y a absolument rien qui le dit dans le texte de l’initiative ! Il est seulement question dans le texte de l’initiative des collaborateurs de l’administration fédérale ! De toute manière, même si on parvenait à faire baisser les salaires des dirigeant-e-s des entreprises publiques de la Confédération, on ne voit pas en quoi cela améliorerait la qualité du service public et à un moindre coût si cela était le vrai but de l’initiative.
L’initiative faussement intitulée « en faveur du service public » est clairement contraire aux intérêts des travailleurs et travailleuses, c’est pourquoi il faut la rejeter dans les urnes.