L’initiative soit-disant «En faveur du service public » est au contraire nettement en sa défaveur. Il faut clairement dire non à un texte trompeur. L’initiative ne contribue en rien à améliorer le service public ni à en faire baisser le prix. Au contraire, si elle est acceptée, elle fera baisser la qualité du service public et menacera la cohésion sociale.
L’initiative a été rejetée au Conseil national par 196 :0 et au Conseil des Etats par 43 :0. Un tel score laisse présager qu’elle n’a aucune chance en votation populaire et qu’il ne vaut guère la peine de lui consacrer une forte campagne. Erreur ! Il faut s’en méfier fortement pour les raisons suivantes :
• Une formulation positive : l’initiative est intitulée « En faveur du service public ». Or qui peut être contre un bon service public ? Personne ou presque. Il faut donc dire non à une proposition en apparence positive pour le service public. C’est le premier danger.
• Le gonflement des faits divers : le comité d’initiative formé par les principaux journaux de consommateurs, dont le lead est assuré par K-Tipp, excelle à mettre en avant différentes situations à la Poste, aux CFF ou chez Swisscom manifestant le mécontentement des usagers. Qu’il s’agisse de la fermeture de bureaux de poste, de trains bondés, de la limitation des guichets dans les gares, sans parler des prix de la téléphonie mobile ou de l’internet qui ne diminuent pas suffisamment vite.
• Une solution simpliste : à première vue, si on n’y réfléchit pas trop, la solution proposée par le comité d’initiative est attrayante. Il suffirait que les bénéfices faits à la Poste ou chez Swisscom soient utilisés non pas pour « gonfler » la poche des actionnaires ou remplir les caisses de la Confédération mais pour faire baisser les prix.
• Un flou délibéré et démagogique : le flou et la démagogie sont pratiqués pour toucher « les tripes » de la population. Le texte de l’initiative n’indique, en effet, nulle part de baisser les salaires des dirigeants des entreprises contrôlées par la Confédération afin qu’ils ne soient pas plus élevés que ceux des conseillers fédéraux. Il est souhaité par contre que les salaires versés aux collaborateurs de ces entreprises ne soient pas supérieurs à ceux versés aux collaborateurs de l’administration fédérale. C’est beaucoup moins porteur auprès de la population, outrée des salaires mirobolants versés aux dirigeants des grandes entreprises cotées à la bourse suisse !
L’initiative est donc un leurre et ne vaut en rien ce qu’elle promet, soit une amélioration de la qualité du service public tout en faisant diminuer les coûts pour les usagers. Si, au moins, elle n’avait pas d’incidences négatives, elle ne causerait pas trop de tort. Mais ce n’est pas le cas : son acceptation entraînerait, d’une part, une baisse de la qualité des prestations du service public. D’autre part, elle remettrait en question le fondement même du service public qui est d’offrir dans toutes les régions du pays des prestations de base de qualité identique au même prix. Il en va tout simplement de la solidarité et de la cohésion nationales.
Les trois principes fallacieux et dangereux de l’initiative
L’initiative repose sur trois principes : d’abord, l’interdiction de but lucratif dans les prestations de base. Cela signifie concrètement que la Confédération, et les entreprises publiques qu’elle contrôle, ne pourront plus faire, dans le service public de base, de bénéfices autres que pour constituer des réserves ou compenser des pertes. Ensuite, l’interdiction de subventionnement croisé. Cela signifie que, dans les prestations de base, les secteurs bénéficiaires ne pourront plus subventionner ceux qui sont déficitaires. Enfin, la Confédération ne peut plus poursuivre d’objectif fiscal avec les entreprises publiques qu’elle contrôle directement ou indirectement. Autrement dit, les entreprises publiques n’alimenteront plus les caisses fédérales par le versement d’une partie de leurs bénéfices ou de dividendes. Est-ce que ces trois principes permettront d’améliorer la qualité du service public en faisant baisser les prix ? Eh bien non. Reprenons dans l’ordre.
La forte limitation de tout but lucratif pour les entreprises contrôlées par la Confédération réduira fortement les moyens dont elles disposent pour investir dans l’infrastructure et le matériel. La conséquence ? La Poste et Swisscom qui agissent sur des marchés ouverts à la concurrence seront moins compétitives et feront preuve de moins d’innovation. Elles auront aussi plus de peine à s’adapter aux évolutions technologiques constantes et aux besoins nouveaux de la clientèle. La qualité des prestations se dégradera et elles auront plus de peine à répondre aux exigences des prestations de base ou du service universel.
L’interdiction de subventionnement croisé sapera le principe même sur lequel est basé le service public de base. Pour donner un exemple, si les bénéfices faits par les CFF sur le réseau grandes lignes ne peuvent plus contribuer à éponger les déficits enregistrés sur les lignes régionales, cela signifie une dégradation de la qualité du service public dans les régions périphériques avec moins de trains, des cadences moins bonnes, etc. C’en est fini alors de la solidarité au cœur même du service public qui veut que les services et régions rentables financent les secteurs et régions qui ne le sont pas.
L’interdiction de poursuivre un objectif fiscal privera les caisses de la Confédération de revenus. En 2015, la participation aux bénéfices de Swisscom a rapporté environ 580 millions de francs à la Confédération. La Poste, elle, a versé quelque 200 millions de francs dans les caisses de l’Etat. La suppression de l’objectif fiscal provoquera une baisse des recettes d’environ 940 millions de francs pour la Confédération et de 280 millions de francs pour les cantons. Cela signifie que nos impôts vont augmenter ou alors qu’on va économiser dans d’autres prestations de service public.
Améliorer encore le service public de base ? Possible par la voie politique, légale ou le partenariat social
On le voit : l’initiative « En faveur du service public » est, après examen de ces principes, gravement en défaveur du service public. Elle ne contribue ni à améliorer la qualité de ce dernier ni à en réduire le prix. Pire, son acceptation réduirait l’étendue et la qualité des prestations dans le service public de base. Pour terminer, on peut aussi dire que, malgré les cas particuliers et les problèmes qui se posent parfois, la qualité générale des prestations de base du service public en Suisse est reconnue. La Suisse a toujours le réseau postal le plus dense au monde en fonction du nombre d’habitants et de la superficie ; en outre, le prix du courrier reste bas en comparaison internationale. Les CFF sont régulièrement félicités pour leur infrastructure ferroviaire et se classent en tête en comparaison internationale. Quant à Swisscom, en assurant un débit minimal de 2Mbit/s dans le service universel, elle détient un record européen.
Certes, des améliorations sont toujours possibles et nécessaires. Mais, pour les réaliser, il faut emprunter le chemin législatif, politique ou celui du partenariat social et surtout pas la voie proposée par l’initiative.